Pourquoi les chars russes n'envahiront pas la Suisse, de Pierre-Alain Fridez

Publié le 03 septembre 2024 par Francisrichard @francisrichard

Que les choses soient claires: je condamne la guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine, une agression qui représente une atteinte aux règles fondamentales qui régissent le droit international tel que fondé sur la Charte des Nations Unies, ainsi qu'au droit humanitaire international tel que consigné dans les Conventions de Genève qui contiennent les règles essentielles du droit international qui fixe des limites à la barbarie provoquée par la guerre.

À plusieurs reprises, Pierre-Alain Fridez fait cette mise au point, qui a le mérite d'être claire.

En fait ce livre est une réponse argumentée à ceux qui veulent augmenter notablement les budgets militaires de la Suisse à la suite de l'attaque des armées de Vladimir Poutine contre l'Ukraine.

De deux choses l'une:

  • soit Vladimir Poutine est fou et nous aurons alors réellement des raisons d'avoir peur,
  • soit il est sensé et, dans ce cas, il faut connaître ses motivations et tempérer certaines ardeurs.

C'est cette branche de l'alternative qui est développée dans ce livre.

Il y a vraisemblablement plusieurs motivations à cette attaque qui ne se déroule pas aussi bien que prévu.

Avant que ce ne soit plus possible:

1. Il s'agit de reconstituer l'empire russe:

  • Il y a en Ukraine une forte minorité russe, qui se trouve principalement dans l'est et le sud du pays (comme il y a de fortes minorités russes en Estonie, en Lettonie et en Moldavie), suite à la dissolution de l'URSS.
  • Après l'accession au pouvoir en 2014 d'un gouvernement pro-occidental en Ukraine, cette minorité russe n'a pas été bien traitée.
  • Les deux visions du pays, qui, historiquement, ne formaient qu'un seul peuple, remontent au début du XVIIIe siècle, la partie occidentale ayant vécu dès lors sous la domination austro-hongroise, la partie orientale dans l'empire russe.

Pour Poutine, la Fédération de Russie représente plus qu'un État, c'est un "État-civilisation" reposant sur la langue russe qui se différencie de l'Occident décadent et qui a vocation à inclure tous les Russes, qu'ils résident en Russie ou en dehors de Russie, selon un code culturel propre au peuple russe.

 2. Il s'agit d'empêcher une invasion par les plaines de l'Ouest, autrement dit de maintenir l'OTAN à distance et ainsi protéger la Russie:

  • Depuis quatre siècles, les Russes ont été envahi par l'Ouest: les Polonais en 1605, les Suédois en 1708, Napoléon en 1812, la guerre de Crimée de 1853 à 1856, les Allemands en 1914 et 1941...
  • Poutine craindrait que l'OTAN ne s'étende jusqu'aux frontières de la Russie en intégrant l'Ukraine, après que l'Alliance Atlantique, dominée par les États-Unis, s'est élargie avec la Hongrie, la Pologne, la République tchèque en 1999; la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004.

Or, par le passé, la Russie n'est parvenue à vaincre ses ennemis qui cherchaient à l'envahir qu'à la condition de posséder une profondeur stratégique, lui permettant de disposer du temps offert par la distance pour se replier, se renforcer, user et affaiblir l'envahisseur par le froid et les privations en lien avec les problèmes d'approvisionnement, puis de fondre sur lui et le vaincre.

3. Il s'agit de conserver un accès aux mers chaudes:

Possession russe depuis environ trois siècles, le président de l'URSS Nikita Khrouchtchev a fait cadeau en 1954 de la Crimée à l'Ukraine sans imaginer l'hypothèse incroyable à l'époque de la disparition de l'Union soviétique et de la possible perte de contrôle sur l'Ukraine.

4. Il s'agit d'éviter la contamination des Russes par des valeurs démocratiques venant d'Ukraine:

Imaginer l'éclosion d'une véritable démocratie en Ukraine, un "mal" potentiellement contagieux jusqu'en Russie toute proche, représenterait quelque chose d'intolérable pour Vladimir Poutine.

Si l'auteur ne se trompe pas, ces motivations n'ont rien avoir avec un projet d'invasion par les chars russes de la Suisse.

Quand bien même Vladimir Poutine envisagerait une telle invasion, il ne pourrait la mener à bien, pour plusieurs raisons:

1. Compte tenu d'une démographie problématique, la Russie n'aurait pas les moyens en hommes pour attaquer et occuper les pays situés entre la Russie et la Suisse, ce qui représente une superficie de 1'800'000 km2, peuplée de 200 millions d'habitants.

2. La Russie est à 2'000 km de distance de la Suisse: La profondeur stratégique est un point fort pour se défendre, mais un point faible pour mener des conquêtes au loin.

3. L'armée russe est affaiblie après deux ans de guerre et a montré ses limites. Pour parvenir jusqu'en Suisse, il lui faudrait d'abord battre l'OTAN...

4. Vladimir Poutine pourrait craindre des réactions dans la population russe: Moscou et les grandes villes où vivent une grande partie de la population dans l'opulence pourraient traverser des moments difficiles.

5. La Russie a pu utiliser son parapluie nucléaire pour agresser l'Ukraine, mais dans le même temps Poutine doit assister sans possibilité de réagir à l'armement de l'Ukraine par les pays membres de l'OTAN, États-Unis en tête.

C'est Pourquoi les chars russes n'envahiront pas la Suisse.

Ce que la Suisse peut craindre, au contraire, ce n'est donc pas une invasion par les chars russes, hautement improbable, mais d'autres menaces pour sa sécurité, telles que:

  • le terrorisme,
  • les cyberattaques,
  • la cybercriminalité,
  • la criminalité organisée,
  • la désinformation ou guerre de l'information,
  • les attaques à distance par des missiles ou des drones.

Les efforts budgétaires devraient donc être faits pour protéger le pays contre ces menaces plutôt que contre cette menace imaginaire d'invasion.

L'auteur ajoute à ces menaces le réchauffement climatique et les pandémies, mais, là, il n'est guère convaincant...

L'auteur est convaincant quand il rappelle que la Suisse doit aider l'Ukraine par tous les moyens, sauf par l'envoi d'armes:

  • Sur le terrain humanitaire, en apportant des aides médicales et des aides matérielles qui ne puissent pas servir à des fins militaires.
  • Sur le terrain diplomatique, en travaillant au dialogue entre les belligérants, mais, pour cela, elle doit être réellement neutre, c'est-à-dire que l'ensemble des nations puissent la considérer comme telle.

La neutralité n'est pas une condition indispensable pour la fourniture de bons offices et pour les activités humanitaires. Mais elle contribue à la crédibilité de cet engagement, et si la Suisse en prime peut témoigner d'une neutralité véritablement crédible, c'est-à-dire sans appliquer deux poids, deux mesures, c'est encore mieux.

Francis Richard

Pourquoi les chars russes n'envahiront pas la Suisse, Pierre-Alain Fridez, 192 pages, Favre