En dépit des obligations et des devoirs que supposait cette vie communautaire, aucun communier n'éprouvait, je crois, le sentiment d'être prisonnier de quoi que ce soit. Ce nous, personne ne leur avait imposé et il ne les empêchait pas de s'en émanciper toutes les fois qu'ils disaient je au conseil ou à l'auberge, pour faire entendre une idée ou signifier leur désaccord.
Cette disparition des communautés rurales se produit à la fin de l'Ancien Régime. L'auteur en incrimine la révolution industrielle, la division du travail, les lois du marché.
Ne serait-ce pas plutôt que les progrès matériels ont fait croire aux hommes qu'ils étaient comme des dieux et qu'ils pouvaient se passer d'eux et de toute transcendance?
Les hommes, dans cette continuité, n'ont-ils pas inventé le concept d'État-providence, où les solidarités forcées se sont substituées aux solidarités naturelles et spontanées?
Dans ce livre, l'auteur évoque deux figures, insurgées contre cette nouvelle communauté sans communauté ne répondant pas au besoin simultané d'en être et d'en échapper.
Ce sont deux figures protestantes, mais ce qu'elles disent peuvent trouver écho chez les catholiques à qui manque dans des sociétés sans Dieu une vie spirituelle qui sauve.
Ces figures, John Nelson Darby et Alexis Muston, aspirent l'une et l'autre à une refondation religieuse mais elles ont deux manières tout-à-fait différentes d'être au monde.
Grâce à la découverte du journal du second, Jean Prod'hom a redécouvert le premier: enfant, il avait participé au culte darbyste, sans jamais en être, l'ayant quitté à 15 ans...
De l'aventure et de l'Assemblée des frères du premier, il tire la conclusion que, née d'une expérience existentielle et généreuse, elle s'est métamorphosée en machine à exclure:
Elle fait partie de ces utopies collectives d'après la Révolution que leurs instigateurs, pour ne pas avoir à y renoncer, ont sans cesse adaptées, corrigées, amendées, jusqu'à les dévoyer.
Le second, au contraire, est réservé à l'égard des groupes et des doctrines, et cherchera tout au long de sa vie une passe qui lui permette de vivre seul, libre et avec les autres:
La foi qui l'habite ne ressemble plus à la foi étroite, exaltée de beaucoup de ses contemporains; elle n'est pas non plus comme chez John Nelson Darby, une vérité coextensive à la vérité scripturale.
La remise à zéro de Darby pour bâtir sur des fondements inébranlables conduit à la guerre de tous contre tous. L'auteur lui préfère la voie tierce d' Un jardin sans clôture de Muston:
Difficile de ne pas éprouver de l'admiration pour cet homme qui a su résister aux chimères idéologiques de son temps, et se tenir en amont des engagements partisans, dans cette attention active qui seule est à même d'offrir une chance à l'avenir.
Francis Richard
Un jardin sans clôture, Jean Prod'hom, 152 pages, Labor et Fides
Livres précédents:
Novembre, éditions d'autre part (2019)
Élargir les seuils, Labor et Fides (2023)