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Demba, de Mamadou Dia

Publié le 13 septembre 2024 par Africultures @africultures

Après avoir été sélectionné à la Berlinale (Encounters), le deuxième long métrage de Mamadou Dia après Le Père de Nafi fait le tour des festivals. Il adopte ici une approche esthétique superbe en scope, très différente, pour traiter de la dépression et appeler à en briser le tabou. Lire notre entretien avec le réalisateur (article n°16150).

Dans la langue de Mamadou Dia, le mot dépression n’existe pas. Comment dès lors parler de ce qui n’existe pas quand on a soi-même été dépressif comme lui, à la mort de sa mère ? Le cinéma pourrait être un moyen. Demba est donc sur un homme proche de la retraite qui perd sa femme Awa (Awa Djiga Kane) et ne s’en remet pas. Mais comment en parler sans tomber dans le pathos ? Avec distance.

Tout est là : à la fois la portée de ce film et la fascination qu’il exerce. Il ose le surréalisme, l’humour, la dérision, mais surtout le fantastique. Awa est morte, mais elle est là, comme sont présents les morts dans la tête des vivants. Et plutôt que d’en faire une revenante ou un esprit, Mamadou Dia en fait un personnage du quotidien. Cela implique une atmosphère, et pour le spectateur une disposition à l’incertitude. Rien n’est prévisible et lorsque Demba, remarquablement interprété par Ben Mahmoud Mbow, rejoint la fête de Tajabone, c’est le summum : une fête traditionnelle (encore fêtée au Sénégal) où pour défier la mort, les hommes se déguisent en femmes et inversement (cf. notre entretien avec Mamadou Dia).

Car ce film cherche à nous égarer, condition pour comprendre combien est déroutante la dépression, ce tabou dont on ne parle pas, que l’on ne nomme pas mais qui étreint ceux qui perdent pied. Il aurait été facile d’envelopper le spectateur dans le sentiment ou la pitié. Mamadou Dia fait au contraire de Demba un personnage ambigu et de ce fait, particulièrement dynamique. Maniant durant 27 ans les certificats de naissance et de décès de la mairie, surnommé « grincheux » par les habitants, Demba a profité selon ses humeurs de son petit pouvoir pour arrondir ses fins de mois, au grand dam de son fils Bajjo (Mamadou Sylla). Mais voilà que maintenant, la roue tourne : il tangue d’autant plus que le maire cherche à vider ce vieux compagnon de route pour le remplacer par un système informatique.

Alors Demba se rebelle, refusant toute thérapie : « Je suis encore utile ! » Le film se fait flamboyant, bouillonnant, traversé par les visions de Demba et une poésie en action. Le chef opérateur Sheldon Chau (qui avait déjà fait l’image du Père de Nafi) joue sur les contrastes de couleurs et utilise intensément les reflets et les surcadrages. Solaire, cette lumière baigne aussi bien le jour que la nuit. Elle est un univers qui s’affirme peu à peu jusqu’à ce que les ténèbres mènent à l’hallucination. Il n’y a là ni mépris ni méprise : la folie, souvent décrite avec force clichés au cinéma, est ici une dérive qui menace de rompre la relation si l’on ne la prend pas en charge. Bajjo, d’abord fermé, le comprend et c’est une des grandes beautés du film que de décrire cette conversion.

L’exercice est difficile et Demba est remarquable de finesse et de créativité pour nous introduire à la complexité d’un mental en détresse, qui aligne fulgurantes lueurs et douloureuses rechutes. Demba inquiète, trouble, désarçonne et préoccupe : il déstabilise son entourage mais celui-ci se mobilise. L’enjeu est de libérer la parole pour sauvegarder une communication et faciliter la solidarité de la communauté. La dépression peut surprendre mais parlons-en ! Histoire de la voir avec le cœur et d’aider tous les Demba à trouver leur place pour, quand ce sera le temps, regagner le mur des anges.

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