Tel Hibernatus, vous vous réveillez en cette rentrée 2008, un peu paumé ? Vous avez raté les grands mouvements culturels des 50 dernières années ?
Voilà un pavé de 679 pages parfait pour rattraper le temps perdu et tout comprendre de ces mouvements bizarres qui électrisent les jeunes.
Benoît Sabatier analyse et décortique avec une grande érudition les premiers balbutiements de ce qu’il appelle la « culture jeune » puis toutes les vagues de hype : le disco, le punk, les radios libres, le hip-hop, la french touch, le rock humanitaire, les alter-maistream, la new-wave, la musique pour enfants, ...
Pour lui, il y a une année charnière : 1984. Une année où tout bascule. « En 1984, les baby-boomers ont-ils gagné ? Plusieurs générations les ringardisent. Les punks, les rappeurs, les branchés, les jeunes gens modernes, que pensent-ils des sixties, des hippies ? Pour eux, des vieux cons. Des renégats rentrés dans un moule. Les nouveaux vieux à dégager. Alors les baby-boomers créent une parade. Il construisent le jeunisme ».
« Intégré, marchandisé, infantilisé, le rock a ensuite droit, malgré quelques soubresauts contre-culturels, à un public à son image: une jeunesse de plus en plus manipulée. Avide de rock humanitaire, de produits bobos ou de télé-réalité, à partir de 1984, la jeunesse devient une entité souvent bêlante. »
Avec une volonté de distanciation, il utilise son expérience de rédacteur en chef du magasin Technikart et recycle de nombreuses interviews et portraits des grands acteurs de cette culture jeuniste (Lester Bang, le commando graphique Bazooka, Daft Punk, Yves Adrien, Madonna, Philippe Manœuvre, Moroder, Kurt Cobain, ….). Puis, il tente de comprendre comment le capitalisme, le temps, les compromis ont pu pervertir ou non les idéaux naïfs et purs à l’origine des grandes tendances artistiques.
Comment peut-on passer de l’underground au mainstream ? Il tente de démontrer que toute idéologie s’est transformée en marché et finit par détruire un à un les mythes qui ont fait rêvé des générations de jeunes : les hippies et le flower power, le punk, le glam, myspace …
Avec pour fil conducteur, l’épopée de Taxi Girl et de son chanteur Daniel Darc, l’auteur délivre une vision partiale, pessimiste, instruite et étayée de chaque mouvement. Alors que reste-t-il de la subversion ? Pas grand chose à la lecture de ce long extrait. Sabatier y décrit ceux qu’il nomme les « Nickhornystes ». Une tribu dont je me reconnais certains travers. Comment pourrait-il en être autrement, au final?
Sabatier bouscule mais il faut reconnaître qu’il a raison. Le rock, à la base, est un truc dangereux. Il ne doit pas se laisser apprivoiser. Hibernatus réveille toi, il est temps !
Extrait:
« (…) la société qui les englobe, celle des années 90, ne cesse de vanter l'esprit jeune, les post-baby-boomers se la jouent ouverts. Les trentenaires des nineties continuent de vivre une vie de jeune, que leurs chérubins se débrouillent, comme bon leur semble, on achète aux enfants rois ce qu'ils réclament, des strings, des CD de Britney Spears, des T-shirts de Slipknot, du maquillage. Ce n'est pas du laxisme, c'est la dictature du cool.
Il est plus compliqué de vendre des disques débarrassés de toute qualité artistique, comme ceux de Lorie, à des trente-quarantenaires.
Pour les post-baby-boomers, le rock n'a pas été un combat, comme il le fut pour les baby-boomers (qui eux se sont battus contre leurs parents pour pouvoir écouter les Who ou les Doors). Pour l'adulescent des années 90, la musique est surtout un élément de décoration. Il choisit ses disques en fonction de l'effet qu'ils feront sur les étagères.
De plus en plus, les post-adolescents prennent leur culture rock pour se donner une contenance, une personnalité cool et rebelle. Leur culture n'est finalement plus qu'un alibi. Pas un idéal de vie, d'une autre vie. Mais un élément décoratif, du crédible en images. Un écrivain a décrit ces adultes jeunes. Nick Hornby. Il n'a pas raillé cette dérive, qui consiste à dévitaliser la puissance corrosive du rock pour en faire un joli objet sur un rayonnage, il en a fait l'apologie. Les personnages de Nick Hornby sont censés incarner les héros des nineties, c'est l'éloge de gars simples qui aiment les disques de Ben Harper, une génération un peu paumée mais très sympatoche.
À la fin des années 80, les futurs adulescents écoutent Public Enemy, qui vient de sortir « It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back », ou les Pixies, « Surfer Rosa ». Ils ont alors vingt ans, ils rêvent toujours de changer la vie. Plus de liberté, d'inventivité. Dix ans plus tard, trentenaires, ces nickhornbystes torchent des gosses et filent doux devant Jacqueline. Ils écoutent toujours les Clash, les Smiths et les Stone Rosés, se sont mis à Bjôrk, Beck, Daft Punk, Lauryn Hill ou Grandaddy. Mais à petites doses.
Is sont une nouvelle génération capitulatrice. Ce n'est ni la drogue, ni la guerre, ni de destructrices utopies qui les ont coulés. Leur génération a été emportée par un mal particulièrement vicieux. Le nickhornbysme. Un hétéro-beaufisme saupoudré de vernis pop, un esprit petit-bourgeois dans un corps ébranlé de nostalgie contre-culturelle. La pensée véhiculée par l'écrivain anglais Nick Hornby assomme le mâle post-adolescent. Finalement, même s'il se vante de lire Bret Easton Ellis, d'écouter les White Stripes, d'aller voir les films de John Woo, il sera comme grand-père, les accessoires contre-culture en plus. Et tant pis si la contre-culture n'existe plus depuis l'édulcorisation des utopies sixties. Elle est maintenant brandie par des béotiens postmodernes.
En 1995, Nick Hornby accouche de son livre Haute Fidélité. Il en vend plus d'un million d'exemplaires- L'auteur dresse le portrait d'un rebelle émouvant, d'une génération qui refuse de vieillir, de s'embourgeoiser. Son héros, Rob, déteste les yuppies qui roulent en BMW en écoutant Simple Minds ; Rob est agacé par ses parents ; Rob est persuadé de dire non aux contraintes du monde adulte. Pourtant, Nick Hornby fait bien ici l'apologie d'une nouvelle forme de petite-bourgeoisie, d'un nouveau conformisme. Tous les trentenaires, dans les années 90, écoutent du rock. Que professe finalement Haute Fidêlité ? Rob finit par s'asseoir gentiment sur ses tête-à-queue d'adolescent, accepte de vivre sa passion avec la mentalité d'un collectionneur un peu gâteux et tellement attendrissant, il est revenu avec bobonne, mais il pourra discrètement continuer de confectionner ses petits Top 5.
Tous les autres romans de Nick Hornby diffusent les même messages, À propos d'un gamin. Carton jaune. La Bonté mode d'emploi, messages résumables par ce top 5 :
1) Tu adores la bonne musique, le foot et les potes ;
2) Tu es amoureux d'une fille qui voit d'un mauvais œil tes passions ;
3) Tu tentes de choisir la sous-culture plutôt qu'une vie de couple stable, mais tu t'aperçois que tu déprimes;
4) Tu retournes avec ton amoureuse, et tes toquades, tu les vis le dimanche, canette de Canada Dry bien en main ;
5) Tu pourras toujours dire que tu bénis le rock'n'roll, mais ce ne sera plus que des mots.
C'est du-jeunisme en bout de course.
Pas étonnant que Haute Fidélité ait rencontré un tel succès. Ce livre rassure, tous les post-adolescents rentrés dans le rang soufflent un bon coup : ouf, leur vie n'est pas merdique, elle est cool. Haute Fidélité cautionne les petits accommodements défaitistes, les vies par procuration, incite à consommer ses lubies punk dans un petit cagibi, aménagé dans un coin d'appartement, un coin de cerveau. Il ne faut pas que les rêves deviennent réalité, juste qu'ils s'inscrivent dans un projet décoratif Tout ce qui constituait l'adolescent devient une gamme d'accessoires quand sa trentaine sonne, même le prénom de ses enfants, Dylan, Elvis, Gloria, Marlon, deviennent des prénoms à la mode. Finalement, écouter les Sex Pistols, grâce à Nick Hornby, ce sera comme acheter des bougies chez Diptyque. Sans risque, avec une odeur lilas.
(…) Xavier est un nickhornbyste, le trash décore sa vie et il a un alibi : Oscar Wilde. Xavier dit que ce n'est pas important de produire une création, que c'est sa vie qui est une œuvre d'art. Mais sa vie est un cliché, pas une œuvre d'art, sa vie est une copie, un faux. Comme Habitat imprime des faux tapis seventies, Xavier vit une existence rock basée sur la représentation qu'il se fait de cette existence, Billy Idol déjà se référait aux originaux, Jim Morrison et Iggy Pop, Billy Idol déjà vivait dans un mythe, alors Xavier, c'est encore plus toc, sa vie en rock, c'est un tapis Habitat. La copie de la copie de la copie. Xavier kiffe American Psycho, il aime également beaucoup Haute Fidéîité.
Jérémie, Antoine, Guillaume et Xavier adorent Nick Hornby. Ils ont lu son dernier livre, 31 Songs. Page 31 : « Plusieurs fois par an, j'enregistre une cassette pour la voiture, et chaque fois que je termine un de ces enregistrements, j'ai du mal à croire qu'un autre viendra le remplacer. Pourtant, une nouvelle cassette succède toujours à la précédente. On n'a besoin que d'une petite centaine d'autres choses comme ça pour avoir une vie qui vaut la peine d'être vécue. » Voilà la vision de la vie selon Nick Hornby. Il rejette Suicide - « Je ne veux plus me laisser terrifier par l'art » - et se demande : « Ne pouvons-nous pas laisser l'art nous réconforter, nous remonter le moral, nous inspirer, nous émouvoir, nous réjouir? »
La contre-culture est devenue une culture jeune transgénérationnelle à savourer en pantoufles. Les vingtenaires des années 90, trentenaires du XXIe siècle, ont suivi l'enseignement de Nick Hornby. Ils sont devenus des adultes trop cool, en bâtissant leur existence sur le catalogue « La Vie par procuration », sur le manuel « Vibrer rock ». »