Parmi les choses qui m’ont donné du fil à retordre lors de la rédaction du business plan, les projections financières arrivent en tête. Comment prévoir ses coûts et surtout ses recettes dans trois ans alors que le service est nouveau et le marché inexistant ?
Il y avait d’abord le conseil de Michel Sion dans son excellent Réussir son business plan : “Partir du coût de l’investissement et de l’exigence de rentabilité”. Mais, alors, je ne voyais pas comment le mettre en œuvre.
J’ai donc préféré conjecturer des hypothèses de croissance et de durée d’abonnement (le service proposera une formule payante selon un abonnement mensuel récurrent) que j’appliquerais à un premier nombre de clients. J’y ai passé des heures ! Le service entrant dans la famille du User Generated Content, j’ai cherché à mimer la courbe de croissance des blogs. J’ai aussi obtenu différents chiffres d’un copain travaillant chez une importante plateforme de blogs. Les deux correspondaient moyennement…
Dans l’ensemble, j’étais très insatisfait de cette méthode. Les résultats étaient artificiels : un rien les faisait varier sensiblement. C’est que c’est une méthode foncièrement spéculative, et l’introduction d’hypothèses hautes, moyennes et basses y remédiait peu. Surtout, elle me laissait spectateur. Si la réalité dément les hypothèses, sur quoi s’appuyer pour réagir ? Pour employer un terme anglo-saxon que j’aime bien : cette méthode n’est pas actionable.
Plusieurs lectures avaient insensiblement pavé le chemin vers “la solution”, en particulier The Art of The Start de Guy Kawasaki et The bootstrapper’s bible de Seth Godin. Je n’oublie pas non plus les questions et les conseils d’un ami et associé, financier chez AREVA. Cela dit, c’est un passage du livre Boo Hoo (en passant, malicieux cadeau de mes anciens collègues…) qui a provoqué le déclic :
How many visitors are you going to get to the site? What kind of conversion rate are you aiming for? How much does each customer have to spend? What’s your customer acquisition rate? And what’s your payback time on the customer acquisition cost?
C’étaient là les questions posées par un investisseur professionnel aux entrepreneurs. Après leur réponse embarrassée, ils eurent droit à :
I apologize for my bluntness […] but I think you’re going to be out of business by Christmas. Thank you, but I’m not interested.
Gosh ! Reality check. J’ai travaillé plusieurs années à l’acquisition de partenaires, de clients, de prospects sur le Web, et j’avais jeté cette expérience par-dessus bord !
Mais j’avais désormais sous les yeux les pièces du puzzle, et je savais comment les assembler.
- Se fixer un objectif d’équilibre la troisième année, en 2011
- Estimer les dépenses jusqu’en 2011. Ce n’est pas difficile : comme nombre de business sur Internet, le nôtre est avant tout un business de coûts fixes
- Appliquer un taux de charges variables aux dépenses de 2011 : voilà le point mort !
- Calculer le chiffre d’affaire moyen généré par un client. C’est la Customer Lifetime Value ou encore l’ARPU : multiplier le prix de l’abonnement mensuel par une hypothèse de durée d’abonnement. (Au passage, vous pouvez calculer le nombre de clients correspondant au point mort : diviser ce dernier par l’ARPU)
- Définir un coût d’acquisition client correspondant à un pourcentage de l’ARPU
- Vérifier la viabilité de ce coût d’acquisition :
- J’ai pris l’hypothèse basse où je confiais l’acquisition des clients à un intermédiaire (ici, une plateforme d’affiliation : 30% de commission) selon un modèle à la performance (CPA)
- J’ai simulé une campagne d’acquisition que lancerait un affilié par e-mailing (hypothèses de taille de base e-mail, de taux d’ouverture, de clic, de conversion et de nombre d’abonnements par commande)
- J’ai simulé une campagne d’acquisition que lancerait un affilié qui achèterait des mots-clés sur Google Adwords (hypothèses taux de clic, de volume de clic, de CPC, de conversion et de nombre d’abonnements par commande)
- Je me suis fait confirmer le réalisme des hypothèses et l’attractivité des gains pour un affilié par un copain travaillant chez TradeDoubler
- Retour à la première année d’activité, 2009. Mensualiser le budget marketing d’acquisition
- Diviser le budget du premier mois par le coût d’acquisition : vous avez vos premières ventes !
- Définir le taux de réinvestissement de la marge générée par ces premières ventes : vous avez celles des mois suivants
- Vous arrivez en 2011 avec un chiffre d’affaires que vous rapprochez du point mort calculé plus haut
- Si ce chiffre d’affaires est au-dessous du point mort, opérerez les ajustements nécessaires sur les lignes budgétaires (plus de marketing, recrutements différés…)
- Le tour est joué !
Besoin d’un exemple ? Consultation ici et téléchargement là (format Excel).
L’avantage de cette approche est patent. Dans le premier cas, je n’avais plus qu’à prier pour que la croissance soit telle que je l’avais supputée… et prier encore si elle ne l’avait pas été. Dans le second, je suis en mesure de créer et de piloter la croissance, et si les ventes manquent à l’appel, je puis jouer sur le prix ou le coût d’acquisition et ajuster le modèle en conséquence.
Chose intéressante, la croisance dont il s’agit ici n’est pas toute la croissance possible mais seulement celle dont je puis “passer commande”. Si le marché adhère fortement et que les revenus induits ne permettent pas de soutenir le mouvement, alors il me faudra rechercher des sources de financement extérieur : prêts bancaires, capital risque…
Si je dis “passer commande”, c’est parce qu’il ne suffit pas de proposer un coût d’acquisition attractif pour que les ventes soient au rendez-vous. L’inconnue de l’acceptation du produit par le public demeure. Cependant, les principaux leviers me permettant de la susciter ont été identifiés et corrélés. J’ai maintenant dans les mains un outil de pilotage commercial.