Sans l'autre, sans son influence et les cicatrices de mon esprit, je ne suis presque rien et n’ai sans doute pas accès à la conscience de moi.
Sans moi, l'autre est tel que je serais sans lui.
Puisque je n'ai pu me construire et me connaître que grâce lui, j'en déduis qu'il en est de même dans son cas, que je lui suis nécessaire autant qu'il l'est pour moi.
Ainsi, les conditions de l'exercice par l'homme de la plénitude de ses moyens mentaux le conduisent de façon inéluctable à la perception de l'énigme de l'altérité.
D’ailleurs, eût – il été possible que j'accède à la conscience de moi en ne commerçant qu'avec moi-même, avec mon image ou mon double de chaire, en imaginant que je puisse me reproduire par clonage ?
Sans doute pas, car toute relation enrichissante exige la différence, l'apport mutuel permettant aux deux protagonistes du dialogue d'enrichir l'un et l'autre leur entendement singulier et de franchir ainsi les étapes d'une progression continue.
Il est bien sûr possible de progresser par un exercice de pensée solitaire mais seulement lorsqu'on en a acquis la capacité.
Si jamais n'a pu se développer l'hypothèse d'une pensée différente, l’échange et le dialogue avec autrui (ou l'idée qu'on en a) sont impossibles et l'esprit se réduit à une enceinte close ou ne peut résonner, s'atténuer peu à peu, que l'écho de soi-même.
Ainsi n'ai-je pu émerger de moi pour m’observer et me met connaître que grâce au feu d'un esprit autre que j'ai contribué moi-même à développer et à entretenir.
L'ambivalence du rapport à autrui demeure irréductible.
En effet, considérons deux êtres, ou plus.
Leur interaction les a faits ce qu'ils sont, leur a permis tout à la fois d'en prendre conscience et de reconnaître les influences humaines qu'ils ont révélées à eux mêmes.
Pour autant, l'altérité de l'autre, condition nécessaire à l’édification mutuelle des personnes, est absolue et définitive.
Ceux dont je dépends tant, dont je suis conduit à reconnaître le rôle essentiel dans mon avènement à la qualité de sujet, je ne puis néanmoins les connaître réellement.
Parce qu'ils sont extérieurs à moi, je n'aurais jamais la capacité de les appréhender dans leur authenticité et dans leur totalité.
Eux-mêmes sont bien sûrs dans la même situation d'impuissance en ce qui me concerne.
Toute notre vie, nous ressentirons néanmoins la nécessité d'observer le reflet de nous-mêmes dans ce miroir déformant aux propriétés étranges que constitue autrui.
SON INDIFFÉRENCE A NOTRE ÉGARD NOUS RENDRA FOUS et nous nous perdrons en supputations quant à ce qu'ils pensent de nous, ce qu'il imagine que nous pensons nous-mêmes.
Nous sommes vis-à-vis de l'autre comme un être cherchant la confirmation de son existence à travers l'observation de son reflet dans les yeux et l'esprit de l'entourage, miroir infidèle mais irremplaçable.
Nous nous épuisons à tenter de remodeler notre image réfléchie selon l'idéal de ce que nous aimerions être, sans jamais maîtriser complètement les propriétés bizarres de l'esprit d'autrui qui nous reflète.
Texte tiré du livre d'Axel Kahn " L'homme, ce roseau pensant..."
Allez, au plaisir de vous lire...