Le texte qui suit a été publié pour la première fois, en 2000, par le journal CALAME, peu de jours après le décès (3 mars) de BA Mahmoud, ancien enseignant, ministre et ambassadeur. Nous le rééditons aujourd'hui afin de vous donner l'occasion de le lire, et de permettre à la génération Internet de (mieux) connaître un homme dont les qualités humaines ont suscité chez ceux qui eurent le bonheur de l'approcher un profond respect et une sincère estime. L'homme tel qu'il est décrit ici VAUT LA PEINE d'être connu, et mériterait de figurer au panthéon de l’histoire de Mauritanie. (Ce "VAUT LA PEINE" équivaut -dans une moindre mesure bien sûr - à celui prononcé par un personnage de l'histoire de France, qui, à deux pas de la guillotine, lançait à son bourreau : "montre ma tête au peuple, elle en VAUT LA PEINE !
S'il existe encore des gens pour lesquels certaines qualités humaines ne sont pas démodées, ce texte devrait les toucher, même si (comme c'est mon cas), ils n'ont pas connu celui que l'auteur appelle "le dernier jaalaalo". Qui sait ? Sa lecture ranimera peut-être certaines de nos qualités en veille que nos défauts toujours plus musclés, étouffent. (Safi Ba)
désert Mauritanien"Dans un pays où le premier prévaricateur venu accumule fortunes et palais, il est mort n’ayant jamais possédé comme toit que le ciel sous lequel il était né. (...)Je chérirais le désert que des fous de la race de Guéladjo Abdoul Ali habiteraient." (A.C.BA)
Le dernier Jaalaalo*
J’avais vingt ans, et j’étais empli de certitudes, c'est-à-dire de cette ignorance juvénile et insolente qui vous fait prendre des vessies pour des lanternes, vos contradicteurs pour de fieffés réactionnaires, et votre impertinence pour du raffinement. Au cours d’une discussion passionnée, j’avais traité BA Mahmoud d’opportuniste potentiel. Il a fixé sur moi un long regard apitoyé, a esquissé un sourire, et est passé à un autre sujet.
Il m’a fallu vingt longues autres années pour seulement commencer à comprendre son regard, son sourire et son silence, et sentir, avec une vie de retard, la honte me monter au cœur.
Mais, quelque significative qu’elle soit, une anecdote ne peut résumer un homme. BA Mahmoud était un être riche et complexe que quelques mots ne sauraient décrypter. Issu de la haute aristocratie peulhe et possédant une vaste culture – Islam, Occident et tradition y étaient harmonieusement mêlés – il était, au sens le plus noble, un homme du peuple. Profondément attaché à son terroir, mais toujours à l’affût des vents du monde ; aussi curieux des littératures lointaines que passionné de lutte traditionnelle et de football. Une simplicité proche du dénuement, l’amour de la vérité, le courage de ses opinions, une foncière honnêteté, le mépris de la gloriole. Rares sont les hommes et les femmes de ce pays qui, autant que lui, auront mis en aussi parfaite adéquation leur vie et leurs principes.
Il y avait indéniablement un parfum d’aristocratie dans son refus de toute ostentation. Comme la nostalgie d’une époque où l’être primait sur le paraître. Pour autant, Guéladjo n’était pas un aristocrate perdu dans une modernité médiocre et grise, et rêvant d’une impossible restauration. C’était un homme – assumant, avec fierté, son passé – engagé dans les luttes de son temps, et désireux de contribuer à la réduction des imperfections du monde. Et s’il lui arrivait de se retrancher derrière l’impassibilité froide et hautaine du prince jaalaalo, c’est que le monde l’avait blessé ou que lui, momentanément, avait désespéré du monde.
BA Mahmoud était avant tout un esprit indépendant. Un homme libre. Peu soucieux des chapelles politico-idéologiques, mais toujours sensible aux douleurs humaines et à l’injustice. Pauvre en biens matériels, mais riche en dignité et en esprit.
Dans un pays où le premier prévaricateur venu accumule fortunes et palais, il est mort n’ayant jamais possédé comme toit que le ciel sous lequel il était né. Un fou, comme une société gangrenée par l’argent se ridiculise à appeler les justes ; ceux qui ne veulent ni ne savent profiter de leurs fonctions officielles pour corrompre, accaparer et avilir. Je chérirais le désert que des fous de la race de Guéladjo Abdoul Ali habiteraient. Mais sous nos yeux ne s’étend plus qu’un monde sans âme ; le « fou » s’en est allé.
Adieu, Jaalaalo ! Que des mains de miséricorde te fassent bon accueil au bout de ton ultime voyage. Que les verts pâturages de Kuumen te soient une douce et éternelle demeure. Que les grands bovidés blancs de Ilo Yalali Diadié veillent sur ton dernier sommeil.
Abdoulaye Ciré BA
- Le jaalaalo (pluriel : yaalalbé) est le prototype du guerrier pasteur peulh. BA Mahmoud (Guéladjo) appartenait au groupe tribal des Yaalalbé.