Le père est physicien. Son objet d’étude est le temps : un temps éclaté, relatif, sur lequel on ne se meut pas tous à la même vitesse. Il n’y a pas, apprend-il à ses enfants, de « maintenant », ou plutôt il n’existe pas de maintenant qui puisse servir de repère extérieur sur lequel on pourrait tous se caler. Chacun porte son présent, qui n’est pas celui des autres, de sorte, par exemple, que certains vieillissent plus vite que d'autres. Les décalages sont inévitables. Il n’existe pas d’ordre absolu et simple de la succession : certains vivent dans un présent qui est le futur des autres, comme des prophètes, et certains instants sont l’anticipation de ce qui viendra plus tard, et arrivera à d’autres. C’est notamment pour cela, parce qu’il a retenu la leçon de son père, que le fils, aujourd’hui narrateur, placé hors du temps de ce qu’il raconte, ne décrit pas les événements qui composent le roman, sa vie, celle de sa famille, de la façon linéaire qui serait celle d’un réaliste classique : en tant que lecteur, on assiste à la circularité des parcours : les personnages reviennent sur les lieux de leur passé, et y perçoivent leur avenir. Il n’y a pas lieu d’adhérer à la fiction d’un temps qui s’écoule uniformément pour tous, et le narrateur nous montre donc comment les petits enfants peuvent d’une certaine façon être présents au moment où leurs grands-parents se rencontrent, mais aussi comment, alors qu’on cherche à l’éviter, on ne peut empêcher le retour du même. L’auteur met donc en place un roman fait d’événements qui font écho les uns avec les autres, quelque soit leur place sur la chronologie de l’histoire. Il montre surtout les effets de l’absence de synchronie, les personnages étant projetés vers le futur ne pouvant être présents aux événements qui se déroulent pourtant en même temps. La question qu'il pose est peut-être : une fois dans le futur, comment fait-on pour vivre avec les autres.
(premier d'une série de trois petits textes sur Le Temps où nous chantions, ou The Time of our Singing, de Richard Powers)