Cinema Paradiso*************Rosetta de Luc & Jean-Pierre Dardenne

Publié le 05 septembre 2024 par Hunterjones
Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parles de l'une de mes trois immenses passions: Le Cinéma !

Je l'ai surconsommé, le fait toujours, l'ai étudié, en fût diplômé, y ai travaillé, en fût récompensé et en suis sorti. Mais le cinéma n'est jamais sorti de moi. 

Je parles d'un film presque toujours tiré de ma collection personnelle de dvd/Blu-Ray, qui est toujours un film que j'ai aimé pour son audace, son originalité, son histoire, ses interprètes, sa réalisation, sa cinématographie, sa musique, bref, je vous parles d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix.

Je vous parles de mon cinéma à moi.

ROSETTA de Luc & Jean-Pierre Dardenne.

Dès le premier plan, de dos, on suit le personnage titre marchant d'un pas déterminé. Caméra épaule. On sent qu'elle est suivie. Ce qu'elle est, effectivement, pas son patron qui vient de la congédier. Tout de suite, on est embarqué dans l'épopée de Rosetta. Il faudra être deux, même trois pour la faire sortir de l'entreprise tellement elle réagit avec intensité, une intensité que l'extraordinaire Émilie Dequenne portera sur l'1h34 qui suivra.

On comprend vite qu'elle est issue d'une famille très pauvre, monoparentale, où là aussi, il arrive de sa battre avec quelqu'un. Ici, sa propre mère. Les frères Belges Dardenne ont l'intelligence de cadrer les batailles de très près, ce qui a le double avantage de nous sentir très impliqués dedans, dans une bataille, on perd relativement le sens de l'orientation, et empêche aussi de voir/mettre en scène des chorégraphies de batailles qui ne seraient pas réalistes. La réalité est partout dans le cinéma des frères Dardenne. Leur cinéma est le contraire du cinéma de David Lynch ou Tim Burton. Et pourtant je les adores tous autant. C'est plus près de Mike Leigh ou du cinéma vérité. Mais encore, le cinéma vérité utilisait parfois de la musique extradiégétique (dont la source sonore n'est pas visible/compréhensible à l'écran). Et le son direct sera très intelligemment utilisé. particulièrement dans le dernier 5 minutes. Dans le cinéma des frères Dardenne, l'éclairage est naturel et les sons sont tous ce qu'on voit à l'écran. Rosetta vit dans la bouette (littéralement à l'écran aussi) et c'est sa mère qui l' y pousse. Le tempérament Rosetta la fera reprendre le cycle. À la 20e minute, on en est déjà à la 3è bataille de la combative et fielleuse Rosetta. Celle-ci est Gaza. Ukraine. Espoir et désespoir. Elle tente de se sortir d'une impasse qu'elle n'a pas choisi. Elle n'a pas choisi de naitre sans père et vivre avec sa mère dans une roulotte où elle reçoit des monsieurs avec lesquelles maman picole + extras.  Un sourire chez Rosetta ne lui pousse qu'autour de la 4ème minute. Et encore une fois, les frères Dardenne ont l'intelligence de cadrer les prouesses gymnastiques que fait un co-travailleur à Rosetta, de manière à ce qu'on en devine les mouvements sans complètement les voir. Par le son, on comprend tout ce qui se passe. On est engagé dans leur cinéma. On ne sent jamais autant qu'on regarde un film autant qu'on est plongé dans un milieu duquel des humains, composés d'autant de défauts que de qualités, mais plus souvent, fragilisés par la vie, se démène afin de trouver leur X.

Il y a une scène superbe où Rosetta, seule, tête sur l'oreiller, se parle à elle-même en chuchotant, se faisant une liste verbale d'objectifs à court et moyen terme. On sent que les choses pourraient de placer pour la jeune fille, mais le soleil se lève toujours en retard pour certains/certaines, et le cycle d'intensité reprend sa routine. 

Rosetta est en quête de sens sans être en mesure de tous les comprendre. Quand son collègue lui présente de la musique, elle ne semble pas comprendre ce qu'elle vit. Ses problèmes de digestions fréquents lui tenaillent l'estomac. Détail humanisant de la part des scénaristes/réalisateurs. L'idée de lui faire porter pratiquement toujours les mêmes vêtements ajoute au sentiment d'extrême pauvreté, portrait qu'on veut dépeindre. Le choix des comédiens, Émilie Dequenne, Olivier Gourmet, alors inconnus, en 1999, nous forcent à croire davantage à ce qu'on voit, extrêmement réaliste, que si on avait Virginie LeDoyen ou Olivier Martinez nous jouant les mêmes choses.

Rosetta est issue d'un milieu malpropre et ne sera pas complètement propre. Nature oblige. La caméra, manipulé pratiquement entièrement à l'épaule par Alain Marcoen, implique le mouvement et nous implique là où on regarde. Ajoute au vrai qui n'est jamais 100% clair. Je suis un très grand fan d'Émilie Dequenne qui y faisait ses débuts, à 17 ans. La fin du film pourrait être le début d'un autre. Car avez Rosetta tout ce déroule par cycle.

 Et que quelque part rime avec point de départ. 

On ne devine une esquisse de sourire que vers l'1h15 sur le visage poupin de Rosetta. Dont les joues rosissent quand elle est en colère, à se demander si le nom n'a pas été choisi ainsi par les frères Dardenne dont le cinéma me plait beaucoup.

La Palme d'Or du meilleur film sera remis aux frères Dardenne, à Cannes, pour ce film, ainsi que le prix d'interprétation féminine pour Émilie Dequenne.

Ce très bon film a 25 ans cette année.