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867- Campagne du journal LE MONDE contre La France insoumise (LFI).

Publié le 04 septembre 2024 par Ahmed Hanifi

"Le Monde" n'est qu'un exemple (de poids)

867- Campagne journal MONDE contre France insoumise (LFI).

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Une analyse de l'incontournable ACRIMED

867- Campagne journal MONDE contre France insoumise (LFI).

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" Radicaliser " : retour sur la campagne du Monde contre LFI

Par Pauline Perrenot, Le Monde, lundi 2 septembre 2024

" La France insoumise s'abîme ", " s'est extrêmisée " et " suscite un très fort rejet " : tels sont les arbitrages assénés dans Le Monde (30/08) sous la plume du sondologue médiatique en chef, Brice Teinturier. La source ? Une enquête électorale de l'institut qu'il dirige (Ipsos), réalisée pour le compte du quotidien, Sciences Po, l'Institut Montaigne et la Fondation Jean Jaurès. L'objet n'est pas ici d'exposer les insondables biais, malfaçons et angles morts de cette " enquête ". Il s'agit, en revanche, de revenir sur le rôle quotidien - et acharné - du Monde dans la diabolisation de La France insoumise. L'article que nous reproduisons est paru dans le numéro 51 de notre revue Médiacritiques (juillet-septembre 2024) et revient spécifiquement sur la couverture de LFI par le quotidien au moment des élections européennes (mars-début mai 2024).

La criminalisation des pensées hétérodoxes à laquelle se livre actuellement l'État français - dont LFI n'est que l'une des (nombreuses) cibles - ne semble d'abord pas alarmer Le Monde outre-mesure. La rédaction n'a par exemple pas jugé utile de consacrer un article de son cru à la convocation pour " apologie du terrorisme " de Mathilde Panot (députée, présidente du groupe à l'Assemblée nationale) : totalement banalisé, ce fait politique est simplement relayé sur le site par le biais de deux dépêches AFP (23/04 et 30/04). Comme si de rien n'était. La convocation pour le même motif de Rima Hassan, juriste et candidate à l'élection européenne sur la liste LFI, se voit appliquer le même traitement minimaliste (19/04). En dehors de trois citations - deux extraites d'un texte transmis par la juriste au quotidien et une dernière, de son avocat -, l'analyse de fond est absente. Rendre compte du positionnement de Rima Hassan ? Le journalisme politique a l'art et la manière : reproduire deux de ses tweets... et rapporter aux lecteurs qu'elle " concentre les critiques des adversaires politiques de LFI, qui lui reprochent d'attiser la haine d'Israël ". Sans se donner la peine, bien sûr, d'adjoindre à cette mention le début du commencement d'une contradiction. Un mois plus tôt (18/03), la même journaliste relayait déjà l'existence d'" accusations de légitimation du Hamas visant Rima Hassan "... sans en dire davantage (3). Favoriser la libre-circulation de la désinformation et entretenir le discrédit : un nouveau champ d'expertise au Monde ?


Une chose est sûre : l'heure n'est plus à la défense des libertés publiques. Le 24 avril, un éditorial daigne qualifier l'interdiction de conférences de La France Insoumise de " préoccupante " et " problématique ", mais ne renonce pas à sa ligne " raisonnable " et finalement très ambiguë pour souhaiter un " nécessaire équilibre " entre " les libertés de réunion et d'expression " et... " la préservation de l'ordre public ". On a connu positionnements moins timides dans les pages du Monde, a fortiori quand le quotidien semble incapable de réprimer sa détestation viscérale de LFI. D'une part, en affirmant que " la répétition d'interdictions nourrit la posture de victime du système et de détenteur des vérités que l'on cherche à bâillonner dont se délecte Jean-Luc Mélenchon ". Une répression dont on ne critique pas le principe même, mais dont on redoute les effets contre-productifs... D'autre part, en martelant la pensée automatique ressassée par l'ensemble des chefferies médiatiques de ce pays : la campagne de La France insoumise en soutien du peuple palestinien " revient à instrumentaliser le vote des quartiers populaires et à inciter les électeurs français à s'identifier aux protagonistes de la guerre que mène Israël dans le territoire palestinien en représailles aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023 ".

Ceci mérite un temps d'arrêt. Outre le fait qu'il ne devrait plus être permis de qualifier de " représailles " la guerre génocidaire menée par l'État d'Israël, ni de laisser penser aux lecteurs que Gaza est le seul territoire palestinien ciblé, l'argumentation laisse pantois. Totalement déconnectée de la gravité de la conjoncture - en Palestine en premier lieu -, cette basse réduction politicienne de la vie politique recycle les éternels mêmes postulats islamophobes, dépeignant les habitants des quartiers populaires (alternative : les " Arabes de France " et les " voix musulmanes ", cf. plus bas) comme une masse informe dénuée de raison propre : des sujets-objets, manipulables à merci, omniprésents dans les récits journalistiques sans pour autant n'y avoir jamais la parole. Réactivée à l'envi dans la séquence en cours, la formule " séduire l'électorat des quartiers " est en effet devenue un automatisme journalistique depuis l'élection présidentielle de 2017. Sans qu'aucune enquête sociologique qualitative ne soit jamais avancée, l'argument revient comme un leitmotiv mobilisé à charge.

Cet éditorial du Monde n'est pas le simple point de vue de l'éditocrate qui l'a rédigé, il donne le ton et fixe la ligne. Au cours des mois étudiés (mars - début mai 2024), contre une poignée de plumes invitées (en tribune) à alerter sur le durcissement autoritaire de l'État français, Le Monde aura au contraire usé des litres d'encre à tancer LFI et " une campagne [...] parlant peu d'Europe " (16/03) évoluant " dans l'ombre de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan " (9/05) ; à divaguer autour d'une " stratégie électorale à double tranchant " (18/03) ; à disserter sur " la question de la succession de Mélenchon en 2027 " et des " déclarations ambiguës, réactivant le procès en antisémitisme qui lui est fait " (15/04) ; à titrer sur " les outrances de Jean-Luc Mélenchon " (19/04), qui " tente de se justifier après les polémiques " (23/04) ; à reprocher à ce dernier de " lance[r] les hostilités pour prendre de court ses concurrents " (22/03), d'avoir " radicalisé ses positions à mesure que le conflit se durcissait " (28/04), de " [jeter] de l'huile sur une question inflammable " et même d'" exploite[r] la faiblesse des réactions à la tragédie de Gaza " (3/05). Le bouc-émissaire par excellence, auquel des journalistes d'un titre " de référence " vont donc jusqu'à reprocher " la faiblesse des réactions " du reste de la classe politique, sans jamais jeter sur cette dernière - ses revirements cyniques, ses silences assourdissants, ses outrances, ses soutiens à un gouvernement d'extrême droite et criminel - le centième d'un tel opprobre.

Jusqu'à l'apothéose, le 5 mai. Fidèle à la ligne de son journal, l'éditorialiste Philippe Bernard met en équivalence LFI et l'extrême droite afin de mieux dénoncer un " dramatique chassé-croisé " : une " instrumentalisation, par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, des peurs des Juifs et des Arabes de France ". Qui est outrancier ? " La gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon croit conquérir les voix musulmanes en faisant de la tragédie de Gaza le centre de sa campagne [...], quitte à s'aliéner de nombreux juifs en confondant "juifs", "Israéliens", "sionistes" et "colonialistes", l'hostilité à l'égard du gouvernement d'Israël et la négation de l'existence de ce pays ". En roue libre, l'éditorialiste se dispense de toute argumentation. D'insinuations en procès d'intention, les prises de position et les communiqués des Insoumis doivent être considérés comme confus et ambigus dès lors que les journalistes le décrètent. Et tant pis s'ils ne disposent d'aucune déclaration à même d'étayer leurs propos. Un pouvoir de nuisance performatif que Philippe Bernard entend bien user jusqu'à la corde :

[La France insoumise] popularise des slogans plus qu'ambigus sur Israël, comme celui qui réclame la liberté pour la Palestine " du fleuve à la mer ". Et appuie la vision simpliste d'un Israël perpétuateur du colonialisme, dont les discriminations envers les musulmans de France seraient également héritées. Cette stratégie d'exacerbation des ressentiments et de tension, qui semble miser sur la mobilisation conjointe des étudiants politisés et des Français issus de l'immigration, ne semble guère porter ses fruits : les " banlieues " ne s'enflamment pas pour Gaza, et les intentions de vote dans les sondages pour la liste LFI [...] plafonnent à 7%.

Discréditer un slogan en passant sous silence l'explication qu'en donnent les acteurs mobilisés (4) ; minimiser, si ce n'est nier l'oppression coloniale israélienne au moment où cette dernière s'impose dans sa forme la plus brutale ; s'agissant des discriminations racistes et islamophobes en France, faire dire au parti politique ce qu'il ne dit pas pour mieux disqualifier au passage des décennies de recherches universitaires démontrant le poids de l'héritage colonial français en la matière ; assimiler la lutte pour les droits d'un peuple à l'autodétermination à une stratégie identitaire et électoraliste ; n'adresser que mépris et dédain aux étudiants mobilisés pour un cessez-le-feu... L'éditorialiste du Monde coche toutes les cases. Paroxystique d'une ligne éditoriale indigente attachée à combattre " les-extrêmes ", ce pamphlet ne cesse d'entretenir le confusionnisme ambiant et s'ajoute à l'interminable liste des procès intentés par l'ensemble des médias dominants au parti de gauche. Lequel, mis sur le même plan que l'extrême droite, est accusé dans un coup de grâce de " marginaliser les discours sensés ", d'" attiser les tensions entre juifs et musulmans ", de " menace[r] la paix civile et fracture[r] la République ". Et pas d'encourager le cannibalisme ?


Un dernier anathème, robotique, envahit les articles des services politiques en général, et ceux du Monde en particulier : reprocher à La France insoumise de " [faire] de Gaza l'axe principal de sa campagne pour les européennes " (28/04). Dérivé du procès consistant à accuser LFI de vouloir " importer le conflit ", ce grief est lui aussi adressé systématiquement à sens unique : jamais des journalistes du Monde n'ont par exemple reproché à Emmanuel Macron d'avoir " fait de l'Ukraine l'axe principal de sa campagne pour la présidentielle " en 2022. Dans les pages du quotidien - comme partout ailleurs -, le candidat d'alors fut même encensé en boucle pour cela : " capitaine Tempête " et " protecteur de la Nation " écrivait notamment sa groupie Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde. Omniprésent, l'argument dégainé à l'encontre de LFI maquille en vérité de fait ce qui relève du parti pris et de l'interprétation politiques. Si les journalistes en ont parfaitement le droit, le fait que toutes les chefferies éditoriales en fassent autant, proposent des analyses interchangeables et prennent toujours parti dans le même sens interroge ! Une atteinte flagrante au pluralisme au service... d'une cabale médiatique.

Caractéristique du journalisme politique, cette démarche est à l'origine d'un modèle du genre au Monde : un article flamboyant d'originalité intitulé " Mon Aubry, une campagne pour les élections européennes dans l'ombre de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan (9/05). Dégoulinant d'arrogance, le principe de l'article consiste à exposer aux lecteurs combien Le Monde sait plus (et mieux) qu'elle-même ce que pense Manon Aubry. Prenant comme point de départ la venue de la tête de liste dans un cinéma parisien, les journalistes lancent d'emblée : 'La salle est pleine de journalistes autour de celle qui est la tête de liste de La France insoumise (LFI) aux élections européennes du 9 juin. Et, pour une fois, c'est elle la star de la soirée, et non Rima Hassan, numéro sept de sa liste, qui semble l'éclipser depuis le début de la campagne.'

Depuis mars, les combats de Manon Aubry contre les traités de libre-échange ou la vie chère passent au second plan, masqués par le conflit israélo-palestinien [...]

La preuve par trois : les journalistes en profitent-elles pour rectifier le tir dans leur article ? Interroger Manon Aubry sur cette question sociale apparemment si chère aux cœurs du Monde ? Perdu. On apprend dans le reste de ce (long) papier que la tête de liste " devient, malgré elle, comptable des dernières polémiques orchestrées par le fondateur de LFI ", " fait mine de ne pas avoir lu sa dernière tribune ", " répète les éléments de langage de son mouvement ". Le portrait d'un pantin qui s'ignore, parsemé de futilités politiciennes sans le moindre rapport avec... la campagne électorale, dont il était initialement question. Une " campagne dans l'ombre " : à croire que le titre du Monde était finalement le bon !

Si cet article prend Le Monde en exemple, les partis pris et les angles morts précédemment décrits sont partagés et appliqués par l'ensemble des journalistes politiques. Difficile, en ce sens, de ne pas dire un mot des prouesses de Libération en la matière, et notamment du billet de Thomas Legrand du 2 mai. Où l'on peut lire, parmi moult âneries, celle-ci, évoquant les " dérapages " de Jean-Luc Mélenchon :

La façon de faire des insoumis [...] conduit à Thomas Legrand : l'invisibilisation de la pauvre Manon Aubry, tête de liste de son mouvement pour les européennes, largement occultée et dont le temps de parole dans les médias est obéré par sa 7e tête de liste, Rima Hassan, championne actuelle des plateaux de télé. La thématique de l'Europe sociale qu'avait choisie Manon Aubry pour sa campagne ne peut pas se déployer.

Charlotte et - Manon Aubry : Libération... est-ce que vous avez assisté à un seul de nos meetings ?

Si... les premiers... le meeting de lancement - Charlotte Balaïch : [le 16 mars, NDLR].

Mais vous avez bien conscience que - Charlotte Balaïch : si on ne peut pas venir à tous les meetings, c'est parce qu'en fait, quatre jours avant, y a Mélenchon qui fait des trucs tous les jours et qu'on doit le suivre aussi et qu'on ne peut pas se démultiplier. À un moment, on peut pas tout suivre ! Donc nous, on suit ce que vous créez en fait ![Tonnerre d'applaudissements dans la salle.]

Tout en aveuglement et en contradictions, le journalisme politique est, décidément, irrécupérable. Mediapart n'y échappe pas, où malgré des critiques légitimes et argumentées, le recul critique minimal à l'égard de la co-construction journalistique de l'" actualité " ne semble pas de mise non plus...

(1) Lire aussi " Le Monde et la répression des ''voix propalestiniennes'' : anatomie d'un double standard ", Sébastien Fontenelle, Blast, 20/05.

(2) Lire aussi " Gaza : du déni à l'occultation. Retour sur un entretien du Monde avec Eva Illouz et Derek Penslar ", Yazid Ben Hounet, Contretemps, 7/05.

En janvier, une deuxième journaliste politique en charge du suivi de la gauche se fendait d'un pamphlet resté célèbre : " Antisémitisme : comment Jean-Luc Mélenchon cultive l'ambiguïté " (5/01).

Revendiquer une égalité de droits pour les populations israéliennes et palestiniennes, comme l'expliqua sans aucune ambiguïté Rima Hassan, notamment, au cours des moult interrogatoires que lui ont infligés les journalistes de l'audiovisuel.

Auxquels s'ajoute, pour être tout à fait exact, ces trois lignes : " Manon Aubry s'est, elle aussi, risquée sur le terrain du PS bashing : "Certains hier à Nantes rêvaient de revenir à l'avant-Macron. Moi, je vous propose de préparer l'après", a-t-elle lancé. "

Échange repéré sur X par Ulyss (3/05).

Lire ici : https://www.acrimed.org/Radicaliser-retour-sur-la-campagne-du-Monde


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