L'histoire: Un jeune livreur pour une société de vente de vin et spiritueux en gros (Julian Negulesco) travaille fort pour satisfaire son patron. Il a épousé la souriante et optimiste Germaine (Marie Dubois) avec laquelle il a emménagé dans un petit appartement parisien. Son père (Paul Crauchet), dégoûté d'aller pointer à l'usine, a aidé sa femme à "faire le grand saut", lui évitant les désagréments de la vieillesse. Le fils veut suivre l'exemple du père : abandonner son métier, adopter un mode de vie entièrement libre. D'ailleurs, il accepte de faire "ménage à quatre" avec son père et son aimable fiancée (Marie-Hélène Breillat). Un balayeur des rues d'origine africaine (Mamadou Diop) se joint à eux quelques temps plus tard. Enthousiasmés par une douce euphorie, tous décident de partir se chauffer la couenne dans le sud de la France...
Bof... Anatomie d'un livreur est l'une des belles oeuvres de la période contestataire du cinéma français. Nous sommes tout juste après mai 68. Les banlieues bondées, les horaires exténuants, le milieu ouvrier coincé par la concurrence étrangère qui commence à pointer le bout de son nez et les gadgets en tout genre que l'on ne cesse de consommer, tout ça et bien d'autres choses encore commencent à faire leur travail de sape. Chose certaine, le boum de l'après-guerre est déjà en train de retomber. Le modèle social imposé est de moins en moins attirant, le désir d'en réchapper se fait plus présent dans la société, et donc dans le cinéma, à l'instar de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de Jean Yanne (1972), L'an 01 de Jacques Doillon (1973), La ville bidon de Jacques Baratier (1973) ou encore Le couple témoin de William Klein (1977).
Réalisé par Claude Faraldo (1936-2008) deux ans avant son plus connu et plus aventureux Themroc (avec un Piccoli rien de moins que mémorable), Bof... est un témoin privilégié de cette période. Dans cette histoire en partie autobiographique (Faraldo a été pendant dix ans livreur d'une grande marque de vins avant de s'inscrire au cours Simon), on retrouve cinq inconnus qui deviennent amis et amants, sans gêne, sans tabous, sans préjugés sur autrui se lancent à corps perdu dans une vie communautaire libre (et libertaire). Loin d'eux, le soleil qui ne cesse de briller... Sous la houlette d'un quinquagénaire entreprenant, le petit groupe cherche un avenir ailleurs. " Je sens que l'on va bien s'amuser " ne cesse-t-il de répéter. Faraldo en fait sa devise et livre une petite vue ultra sympathique dont le charme et la sincérité fonctionnent encore, plus de cinquante ans après la sortie.
Le gros coup de coeur pour ce film tient aussi dans le fait que Faraldo ne fait pas preuve de moquerie, comme chez Yanne par exemple, et ne cherche pas à jour de la provoc' pour choquer le spectateur, quoique la subversion soit quand même poussée dans ses derniers retranchements. Au contraire, il essaye plutôt de le convaincre de tout laisser tomber avec une naïveté, attachante quoiqu'un peu gauche. Il aime ses personnages, sait s'amuser avec eux et sait faire preuve d'empathie quand il le faut. Certes, son regard sur la gent féminine est à replacer dans son contexte, mais cela n'empêche pas Bof... Anatomie d'un livreur d'être considérée comme une oeuvre importante du cinéma français des années 1970. À noter que Claude Faraldo a des liens assez forts ici au Québec puisqu'en 1975, il avait réalisé Tabarnac, remarquable rockumentaire avec le groupe Offenbach.
Disponible sur StudioCanal Québec et téléchargeable sur archive.org.