Présentation de l’éditeur :
Le Jardin des supplices n’est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s’est complu l’imaginaire de 1900. L’ouvrage exprime aussi l’ambiguïté de l’attitude d’un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu’on n’appelait pas encore le Tiers Monde. Pour Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs mortels et, par leur système pénal et l’invraisemblable raffinement de leur cruauté, les Chinois ne peuvent être à ses yeux que des barbares : Emmanuelle sur fond de guerre du Viêt-nam, comme l’écrit Michel Delon. Mais les Chinois vivent dans une société plus solidaire et matériellement moins asservie que la nôtre. Et surtout ils sont d’admirables artistes. Tel est le paradoxe de la Chine : un jardin de supplices mais aussi les plus belles porcelaines, les plus beaux bronzes que l’on ait jamais faits. " Voici donc les Barbares à peau jaune dont les civilisés d’Europe à peau blanche violent le sol. Nous sommes toujours les mêmes sauvages, les mêmes ennemis de la Beauté. "
C’est, je pense, plus une fix-up novel (des articles ou nouvelles misent bout à bout) qu’un réel roman. Trois parties se détachent : l’Homme a le meurtre dans le sang (discutions dans une assemblée), puis, critique de la politique et des politiciens (préparatif du voyage), et enfin, le Jardin des supplices (le « voyage » proprement dit). Mirbeau a une prose admirable et très ironique voire sarcastique ; on ne pourrait certainement plus se moquer des politiciens comme il s’en moque ! Le Jardin des supplices est très beau en description florale et en horreur en tout genre ; aucune description de tortures ne nous est épargnée. Mais la lassitude, pour moi, vient de l’accumulation des noms de fleur ; pour un non botaniste, ce n’est pas facile de s’y retrouver. Cela reste cependant un texte très agréable à lire et souvent drôle.
«[…] Prendre quelque chose à quelqu’un, et le garder pour soi, ça c’est du vol… Prendre quelque chose à quelqu’un et le repasser à un autre, en échange d’autant d’argent que l’on peut, ça, c’est du commerce… Le vol est d’autant plus bête qu’il se contente d’un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa… » p.74
«Pour un homme d’Etat, il n’est qu’une chose irréparable : l’honnêteté !… L’honnêteté est inerte et stérile, elle ignore la mise en valeur des appétits et des ambitions, les seules énergies par quoi l’on fonde quelque chose de durable. […]» p.93
«[…] Notre escorte était nombreuse, en grande partie formée d’Européens… des Marseillais, des Allemands, des Italiens… un peu de tout… Quand on avait trop faim, on abattait un homme de l’escorte… de préférence un Allemand… L’Allemand, divine miss, est plus gras que les autres races… et il fournit davantage… Et puis, pour nous autres Français, c’est un Allemand de moins !… L’Italien, lui, est sec et dur… C’est plein de nerfs…
- Et le Marseillais ?… intervins-je…
- Peuh !… déclara le voyageur, en hochant la tête… le Marseillais est très surfait… il sent l’ail… et, aussi, je ne sais pas pourquoi, le suint… Vous dire que c’est régalant ?… non… c’est mangeable, voilà tout… […]» p.115
«[…] en quoi consiste la guerre ?… Elle consiste à massacrer le plus d’hommes que l’on peut, en le moins de temps possible… Pour la rendre de plus en plus meurtrière et expéditive il s’agit de trouver des engins de destruction de plus en plus formidables… C’est une question d’humanité… et c’est aussi le progrès moderne… […]» p.121
«[…] arriver quelque part, c’est mourir !… » p.129
«[…] Mais regardez donc !… La fleur n’est qu’un sexe, milady… Y a-t-il rien de plus sain, de plus fort, de plus beau qu’un sexe ?… Ces pétales merveilleux… ces soies, ces velours… ces douces, souples et caressantes étoffes… ce sont les rideaux de l’alcôve…. Les draperies de la chambre nuptiale… le lit parfumé où les sexes se joignent… où ils passent leur vie éphémère et immortelle à se pâmer d’amour. Quel exemple admirable pour nous ! » p.214
«[…] Ce n’est pas de mourir qui est triste… c’est de vivre quand on n’est pas heureux… […]» p.220
Editions Gallimard / Folio - 338 pages dont une centaine de pages de préface, notes, biographie, …