Critique de L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt, de Géraldine Martineau, vu le 29 août 2024 au Théâtre du Palais-Royal
Avec Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Isabelle Gardien, Blanche Leleu, Priscilla Bescond, Adrien Melin, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet, Florence Hennequin, Bastien Dollinger, mis en scène par Géraldine Martineau
Quand ce spectacle a été annoncé, il y a quelques mois, j’ai été complètement hypée. Par la distribution, en réalité, qui réunit des comédiens que je suis depuis des années, plus que par le sujet lui-même. Et plus le temps passait, plus je me disais que, quand même, un biopic sur Sarah Bernhardt, c’est vraiment risqué. Allez, soyons tout à fait honnête : j’y allais dans un état d’esprit mitigé, heureuse de retrouver des comédiens que j’aime mais quand même pleine d’appréhension devant le contenu de la proposition. Je crois que je m’attendais à quelque chose de standard. Je me suis retrouvée devant du grand art. Ça sonne pareil, après tout, je n’étais pas si loin.
Il y a quelque chose qui est rare, au théâtre, que je chéris tout particulièrement et que j’ai souvent du mal à décrire, c’est le sentiment de surprise. Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est frustrant de ne pas pouvoir poser des mots sur cette émotion intérieure qui naît d’un sourcil en l’air, qui évolue en « mais qu’est-ce que… ? » jusqu’à prendre toute la place. Et quand ça prend toute la place, il n’y a plus de question. Vous êtes juste emporté. Et le pari est réussi.
Mais difficile de dire quel était le pari, cette fois-ci. Dans notre sale habitude de tout ranger dans des cases, j’avais fait le pari d’un biopic un peu nianian. Je me suis retrouvée devant une délicieuse fantaisie. Qui soudain se donne des airs de comédie musicale. Qui sait effacer doucement la narration pour laisser place à des moments de franche comédie ou de pure délicatesse. Qui sait aussi jouer avec des tableaux somptueux. Qui ose le théâtre de geste. Je me suis retrouvée devant spectacle déconcertant, qui mélange avec brio et en toute décontraction des éléments qu’on n’a pas l’habitude de voir former un tout homogène. Et dans lequel, finalement, Sarah Bernhardt devient presque un prétexte pour parler de théâtre.
© Fabienne RappeneauJe ne sais pas à quel point le spectacle ressemble à Sarah Bernhardt, et à quel point il ressemble à Géraldine Martineau. Et pour tout vous dire, je m’en fous. On en sort comme imprégnés de la liberté absolue qui s’en dégage. C’est un spectacle hors du commun. Un spectacle qui n’a pas voulu choisir entre poésie, accessibilité, exigence, et intelligence. Un spectacle total qui ne s’en donne pas l’air. Un spectacle qui révolutionne les codes sans le revendiquer. Un spectacle qui se fiche des modes. Un spectacle qui fait confiance à son public. Un spectacle qui a choisi de travailler la fluidité des transitions entre les scènes plutôt que de céder à des noirs casseurs de rythme. Un spectacle qui rigolerait bien s’il savait qu’une partie de la salle s’attend à voir un biopic « comme d’habitude ».
Je crois que j’aurais pu me douter, rien qu’avec la distribution, que j’allais assister à un spectacle hors norme. Il faut que je parle de cette distribution. Et pas seulement parce qu’il sont tous excellents. Pas seulement parce que la direction d’acteurs est prodigieuse. Pas seulement parce que cette fois, c’est sûr, on s’est dit qu’on n’allait plus jamais rater une apparition d’Estelle Meyer sur scène. Non, il faut que je vous parle de cette distribution parce que, comme le reste, elle est incroyablement libre. Et étonnante. Elle ne ressemble pas à ce qu’on voit d’habitude. Elle mélange des comédiens issus d’horizons très différents, que j’ai croisés sous la houlette de metteurs en scène du privé comme du public.
Géraldine Martineau semble avoir fait fi de cette fameuse guéguerre. Elle semble avoir choisi avant tout les artistes qu’elle voyait le mieux dans les rôles qu’elle dessinait. Sans prendre en compte le reste, leur bagage ou leurs affinités théâtrales. Et le résultat est fou. Il est fou pas seulement parce que ça fait un petit quelque chose au coeur de les voir réunis, ces comédiens issus d’univers si divers, que j’ai découverts sur tant de scènes différentes, certains que je suis parfois depuis près de quinze ans, d’autres que je suis heureuse de recroiser ce soir-là – Adrien Melin, Blanche Leleu, Isabelle Gardien, Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Sylvain Dieuaide, c’est grâce à vous que j’étais là hier alors merci… et à vous que j’ai découverts ce soir-là, Priscilla Bescond, Antoine Cholet, Florence Hennequin, Bastien Dollinger, enchantée ! Non, le résultat est fou, parce qu’en plus d’être surprenant, culotté, inhabituel, il est complètement réussi. Et puis tant pis, on a essayé d’être un peu à la hauteur du spectacle pendant tout cet article, mais excusez-moi, voir autant de femmes sur scène, en fait, QUAND MÊME, ça fait quelque chose. Voilà. Et merci.
Je n’aurais pu envisager meilleure façon d’entamer ma saison 2024-2025. La barre est haute. Tant mieux !