Requiem - et autres poèmes, de Gustave Roud

Publié le 04 août 2024 par Francisrichard @francisrichard

Ma solitude est pure et parfaite comme la neige.

Requiem (1967)

Gustave Roud est bien seul, seul avec les oiseaux. Une voix d'outre-tombe lui dit de se reposer. Il lui répond: Mais tu sais bien qu'il n'y a pas de repos.

Il n'y a pas d'abîme entre sa détresse et celle des plantes. La voix qu'il entend encore à l'extrême de l'ouïe est celle de sa mère avant qu'elle ne se taise.

Il est l'homme traversé par l'éternel qui a fait irruption en lui, ayant subi l'assaut de l'ineffable et vu la vraie lumière, qui baigne les choses périssables.

Cette lumière l'a trahi, l'a suivi jusqu'aux confins du temps pour le nier avec une furieuse liberté d'esclave hors des chaînes, sans qu'il atteigne sa mère.

Vivre entre les deux mondes, des vivants et des morts, est impossible. Il sait bien que ce n'est pas la demeure natale, celle d'ici, mais l'autre qui l'attend.

Heureusement qu'il y a l'infinie fidélité des oiseaux qu'elle aimait tant. Mais il reste sourd à leur chant. Quelque chose en lui demeure clos à ce langage.

Une vérité a pourtant fini par se lever en lui, car un oiseau lui a donné la seule réponse, lui a révélé ce qu'il avait cherché en vain pendant toute une vie:

Ô mère, écoute: il n'y a plus d'ailleurs.

Il se penche, tend la main et trouve les fleurs dont il a cherché toute sa vie un reflet dans le regard des hommes et qui le ré-accueillent avec leurs parfums.

Il est en terrain connu. L'y accompagnent le vol et le chant du rouge-gorge jusqu'au seuil usé entre ses buissons de lauriers-roses, le seuil des retrouvailles:

Ô mère, [là] où toute parole dans l'ineffable clarté se défait comme une vaine écume.

Dans les Autres poèmes, le poète parle de communion:

  • Dans Fernand contre le ciel  (Novembre 1937), il commente un poème d'Hölderin , où il souligne la communion entre les deux univers, celui des choses et celui du signe.
  • Dans Bouvreuil (Janvier 1938), il évoque l'instant suprême où la communion avec le monde nous est donnée, où l'univers cesse d'être un spectacle parfaitement lisible, entièrement inane1, pour devenir une immense gerbe de messages, un concert sans cesse recommencé de cris, de gestes, où tout être, toute chose est à la fois signe et porteur de signe. 
  • Dans D'un carnet d'été. Moulin de Lussery (Septembre 1938), il écrit qu'au moment même où la communion va s'accomplir, c'est toujours le glaive de la séparation qui se glisse.

C'est justement de séparation dont il parle dans les trois derniers poèmes:

  • Dans Appel d'hiver (Février 1939), il pose la question: Où es-tu? qui en entraîne d'autres: Est-ce que tu ne peux plus entendre ce cri? Est-ce que tu ne peux dire que tu respires encore, si ton coeur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore, m'est refusée?
  • Dans Pages d'extrême automne (Janvier 1940), il se rend au cimetière où se trouve la tombe de F. Il n'entend pas sa plainte: Maladroite, comme tous les appels que ceux qui sont hors du temps hurlent ou murmurent à ceux qu'il emprisonne encore. C'est pourquoi je n'ai pas su l'entendre. C'est pourquoi les vivants ne les entendent presque jamais.
  • Dans L'aveuglement (Printemps 1966), il ne voit pas et n'entend pas ce qui se trame contre l'Aimé: La fille de l'obscur savait que tu allais devenir prisonnier de l'ombre.

Laissons le mot de la fin à Claro qui termine ainsi sa préface:

À la consommation des siècles, le poète oppose la consumation des jours, en une gerbe aussi savante que fiévreuse - que seule la neige de la page a le pouvoir d'apaiser.

Francis Richard

1 - Mot anglais qui signifie inepte.

Requiem - et autres poèmes, Gustave Roud, 160 pages, Zoé

Livres de l'auteur précédemment chroniqués:

Essai pour un paradis, suivi de Pour un moissonneur (2020)

Air de la solitude (2022)

Petites notes quotidiennes (ou presque) (2024)