Le gouvernement n'aura pas attendu longtemps pour réagir au sondage de CSA sur l'engagement français en Afghanistan que le Parisien Libéré a publié le 22 août : il y aura débat a Parlement et, dans la foulée, vote le 22 septembre. Il est vrai que c'est l'un des fondements de la politique internationale de Nicolas Sarkozy qui est en jeu. Alors qu'il avait, jusqu'à présent, plutôt cumulé les succès en ce domaine , il bute sur une vraie difficulté : l'opposition de l'opinion à l'intervention en Afghanistan.
On se souvient que, d'après le sondage du Parisien Libéré, 55% des Français sont hostiles à l'engagement de la France dans ce pays de crainte que la France ne "s'enlise dans un conflit sur lequel elle n'a pas de prise". 36% pensent "qu'il faut maintenir les troupes, car elles participent à la lutte contre le terrorisme international". 9% seulement ne se prononcent pas, ce qui est peu pour un sujet aussi complexe.
Ce sondage ayant été réalisé au lendemain de l'annonce de la mort de dix soldats français, on pourrait en imputer les résultats à l'émotion. S'en tenir à cette explication est cependant un peu court. En mars dernier, BVA a réalisé pour Sud-Ouest un sondage donnant des résultats tout aussi hostiles à la guerre : les deux tiers des Français désapprouvaient la décision de Nicolas Sarkozy d’envoyer de nouvelles troupes à Kaboul, seuls 15% la soutenaient. Au-delà de l’engagement militaire français, c’est la guerre elle-même menée par les Occidentaux en Afghanistan qui est en cause aux yeux des Français. 65% d’entre eux jugent ainsi erronée l’attitude américaine.
Le sondage du Parisien est moins mauvais pour le pouvoir, mais le réflexe légitimiste fréquent dans ce genre de situation n'a pas joué. 48% seulement des Français font confiance au Président pour gérer ce dossier contre 46% qui lui refusent leur confiance : les dix jeunes soldats tués dans cette embuscade n'ont pas suffi à réunir l'opinion autour du Président, comme cela avait été le cas en 1983 lors de l'attentat du Drakkar. Au delà du pacifisme de l'opinion, le doute sur l'opportunité et les motifs de cette intervention semble dominer une opinion qui s'interroge et se pose des questions :
- a-t-on quelque chance de gagner cette guerre alors que les conflits asymétriques de ce type sont de ceux que l'on ne gagne jamais?
- est-ce en se battant en Afghanistan que l'on peut gagner la guerre contre le terrorisme? Les derniers attentats commis en Afrique du Nord ou en Europe l'ont été par des groupes locaux qui se réclamaient d'Al Qaida mais disposaient d'une grande autonomie ;
- le terrorisme est-il le premier risque que courent nos sociétés? On peut le contester : la déconstruction des Etats à l'Est de l'Europe, leur émiettement avec ce que cela entraîne de guerres civiles, de déplacements de populations, éventuellement de génocides et de renforcement de la puissance russe paraissent aujourd'hui plus inquiétants qu'un terrorisme venu de l'extérieur ;
- le rapprochement avec les Etats-Unis justifie-t-il que l'on mette en danger la vie de nos soldats?
- l'intervention en Afghanistan est-elle indispensable au maintien du rang international de la France?…
Une majorité se dégagera naturellement au Parlement en faveur de la politique menée par le gouvernement. Les débats donneront aux parlementaires de la majorité l'occasion de développer des arguments en faveur de l'intervention, mais aussi aux sceptiques, tant à gauche qu'à droite (il y en a, comme Pierre Lellouche ou Dominique de Villepin ) de faire valoir les leur. Cela suffira-t-il? C'est peu probable. Reste à savoir ce que fera Nicolas Sarkozy. Suivra-t-il l'exemple de François Mitterrand qui avait retiré les troupes françaises du Liban quelques mois après avoir déclaré que "l'assassinat des 58 soldats ne resterait pas impuni", ou persévérera-t-il dans ce qui est aux yeux de l'opinion une erreur? Beaucoup dépendra de la politique de la prochaine administration américaine. Si celle-ci s'enferme dans cette guerre il lui sera plus difficile de lever le pied. Au risque de nouveaux morts. Si elle comprend que la guerre en Afghanistan n'est pas aussi stratégique que l'affirment aujourd'hui les candidats, il pourra plus facilement désengager nos troupes de ce que Pierre Lellouche appelle déjà un "bourbier".