Histoire de mes pensées, paru en 1936, est le premier des douze livres d' Alain contenus dans le volume de la Bibliothèque de la Pléiade intitulé Les Arts et les Dieux.
Ce volume m'a été offert par un de mes proches il y a quelques années, mais j'avais différé, sans raison, d'en entreprendre la lecture, bien que l'envie ne manquât pas.
En lisant ce premier livre, je me rends compte que je n'avais pas seulement trois correspondances avec Alain:
- Il est mort en 1951, l'année où je suis né.
- Il a enseigné à Henri IV, où j'ai été lycéen de 1965 à 1968.
- Il avait une maison au Vésinet, qui n'est pas très éloignée de ma maison de Chatou.
(J'ajouterai que l'un de mes fils a été lycéen dans l'établissement vésigondin qui porte son nom.)
Tous ces liens étaient de bon augure. C'est ce qui m'a décidé, en dépit, ou à cause, de la chaleur estivale, à m'abreuver à la source spirituelle de cet homme libre.
Je n'ai pas été déçu. Certes Alain ne se disait plus catholique après l'avoir été, alors que je le suis toujours, mais sa manière d'être un homme me ravit.
AUTRES TRAITS COMMUNSCar l' Histoire de mes pensées, écrite par celui qui ne croyait ni à l'histoire ni au progrès, m'a fait découvrir d'autres traits communs qui me confortent dans l'idée que je n'ai peut-être pas tout faux dans ce que je pense.
Je cite:
- À qui veut empêcher ma liberté, je la prouve témérairement.
- Une idée que j'ai, il faut que je la nie; c'est ma manière de l'essayer.
- Je n'ai jamais cru pour ma part qu'il fût possible de trouver une philosophie nouvelle.
- J'ai pris au sérieux une seule chose, qui est de ne pas dire de sottises autant qu'il se peut.
- Longtemps avant de critiquer, il faut passer des années à comprendre.
- J'ai toujours senti la vie comme étant délicieuse par elle-même et au-dessus des inconvénients.
- La crainte d'offenser quelqu'un est une pensée qui gâte la plus belle cause.
- En bas l'opinion folle, qui conjecture seulement, qui considère seulement le vraisemblable. [...] Au-dessus l'opinion droite, qui porte la marque de prudence et de modération.
- J'ai fini par savoir qu'il vaut mieux ne rien noter, et ne même pas chercher à retenir, mais plutôt se rendre familier le livre, jusqu'à trouver sans hésitation n'importe quel passage auquel on pense.
- Il est de l'essence de la liberté qu'on ne puisse jamais la prouver à la rigueur, et qu'il faut toujours la vouloir.
- "La propriété c'est le vol" me fait horreur, [...] parce que je vois que les deux termes ainsi rapprochés sont déformés effrontément, la propriété étant par essence liée au travail, et le vol se définissant par l'acquisition sans travail.
- La règle de penser comme il faut est de penser comme on veut.
- J'ai souvent pensé que le pouvoir corrompt l'homme.
- La liaison évidente qui est de tous les temps entre la religion et l'art fait bien entendre que les artistes firent toujours leur travail comme une prière...
- Il n'y a point du tout de pensée sans culture, et non plus sans culte car c'est le même mot. En d'autres termes si l'on n'a pas respect du langage, on n'a point respect de soi.
- Je cherchais dans un auteur comment il a pensé, et non pas à savoir si c'est bien pensé.
- La Générosité consiste dans la ferme résolution de ne jamais manquer de libre arbitre.
- Les poètes et les romanciers sont les premiers et les derniers maîtres dans l'art de se connaître.
- Le monastère est le lieu où on est libre d'aimer et où l'on n'est plus en état de forcer.
- On a dit et écrit que les animaux ne font pas la guerre; mais si l'on a voulu élever par là l'animal au-dessus de l'homme, ce n'est qu'une méchante pensée. Toutefois il se trouve encore de la grandeur à vouloir faire la bête, et de la grandeur à se moquer de la grandeur.
Par ma foi, il y a plus de soixante ans que je dis, et pense, du Alain sans que j'en susse rien, et je suis le plus obligé du monde à La Pléiade de me l'avoir appris avec ce début de volume 1.
Francis Richard
1 - Toute ressemblance avec les dires d'un personnage de Molière serait fortuite...
Histoire de mes pensées, 214 pages, Alain, La Pléiade (1958)