Telle est l'épigraphe que Jean Prod'hom a placé en tête de son livre.
Parce que le langage, dès l'enfance, détourne de la réalité des choses. Mais, paradoxalement, il nous permet aussi de nous réconcilier avec ce qui nous entoure:
En nous conduisant par le poème au seuil de l'immédiat.Pour illustrer le propos, il nous rappelle que l'enfant, un jour, passe du monde primitif à un monde second où il échappe à l'immédiat pour, le distançant, entreprendre.
Il a mis du temps à comprendre qu'il ne fallait pas choisir entre ces deux mondes:
- celui duquel nous jaillissons, existons et auquel nous nous abandonnons sans délai;
- et celui dans lequel nous nous affairons, vivons et sur lequel nous agissons avec prévoyance.
Parce qu' ils sont en réalité les expressions d'une même réalité. Avant d'aller à l'école, il a mené avec les enfants de son quartier une aventure collective qui le confirmait.
C'est à l'école qu'est apparue la division entre ces deux mondes:
On s'est mis à croire [...] que nos vies et le monde avec lequel elles se confondaient était d'une nature différente, que les choses étaient d'un côté et nous de l'autre.Dès sa première lecture, mais il l'ignore alors, est consommé le divorce du concept d'avec l'existence, de l'objet d'avec la chose, de la langue d'avec le vent et les saisons.
Adolescent, il s'est tenu à l'écart des deux manières d'être au monde, celle des vertueux et celle des indociles. Il a, au fond, d'instinct fait la part belle au juste milieu.
Jeune homme, il est désemparé par la lecture de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel et mis en danger par son certitudes et de points fixes. Il devient:
Aujourd'hui, il veut prolonger l'aventure qu'il a connue enfant et, pour ce faire, s'éloigner de quelques pas de cette césure entre les deux mondes. Par exemple:
Écouter autant ses pressentiments que ses raisons et ignorer parfois où l'on va, prendre le risque de n'aboutir à rien et d'être ramené au commencement.Au fond, Élargir les seuils, c'est ne pas choisir entre les deux mouvements essentiels que sont la gratuité et la vie de labeur, c'est ne renoncer ni à l'une ni à l'autre:
Nous nous assécherions si nous ne nous abandonnions à la gratuité et aux eaux vives; et nous mourrions si nous n'entretenions les comptoirs et les maisons que nous avons établis sur leurs rives, pour disposer d'un port et traiter des affaires courantes.Francis Richard
Élargir les seuils, de Jean Prod'hom, 112 pages, Labor et Fides
Livre précédent:
, éditions d'autre part (2019)