Le soleil est bas lorsque Wongsai me ramène au village, après une longue journée de marche qui nous aura emmenés jusqu’aux ruines d’un temple perdu dans la jungle. Il paraît que beaucoup de gens hésitent à s’en approcher, car de nombreux esprits y rôderaient encore, s’amusant à désorienter les visiteurs imprudents pour les faire tourner sans fin autour du temple. A l’entrée du village, c’est l’heure du bain dans la rivière, non seulement pour le plaisir, mais aussi pour laver tout ce qui a besoin de l’être : les gens, les habits, les scooters, et même un gros camion. J’enlève mes chaussures, et Wongsai me sourit en constatant que j’ai bien retenu ses leçons sur comment se débarrasser des sangsues : les décoller en passant une lame de couteau à plat entre la peau et la bouche avide, puis poser un bout de papier sur la plaie pour stopper la coulée de sang.
Je m’imagine déjà prendre une bonne douche lorsque je passe devant la cabane de bambou, ouverte à tous les vents, qui sert d’école communale. Quelqu’un m’interpelle : c’est Thongchanh, le prof d’anglais, trop content de tomber sur un “falang” (un blanc) qui va se faire un plaisir de prendre sa place. Je me dévoue donc pour enseigner quelques rudiments de la langue de Shakespeare concernant les parties du corps, les couleurs, les sentiments (avec tout le cinéma et les mimiques qui vont avec). J’ai huit élèves sur les bancs, et trois fois autant agglutinés à l’extérieur, médusés par cet étrange instituteur sorti de nulle part. Lorsque la leçon dérive sur les animaux, ma tâche devient soudain plus facile : il me suffit de montrer du doigt ceux qui se promènent à côté de la cabane. Le crépuscule s’installe, Thongchanh allume une bougie qu’il place sur le bureau, et refuse de donner congé à sa classe tant que je n’ai pas chanté une chanson en anglais. Ce sera donc la première qui me vient à l’esprit, peut-être inspirée par la magie du moment : Knockin’ on Heaven’s door…
baignade du soir
des élèves attentifs