Paule Amblard arpente les rues désertées du Paris estival… et cette saison lui évoque l'insouciance de ses jeunes années, les déambulations des poètes, l'abandon au présent des spiritualités orientales.
À l’heure où j’écris, la ville dans laquelle j’habite est dépeuplée. À Paris, les rues sont en deuil avec leurs commerces fermés par les lourdes ferrailles des rideaux gris, les trottoirs sont désertés des humains, des poussettes, des chiens. Je pourrais me réjouir de ce calme retrouvé, où la cité semble reprendre souffle.
Débarrassée de son trop-plein d’habitants, elle apparaît nue dans la beauté de ses musées, de ses monuments, de ses immeubles de vieilles pierres, de ses éléments qui n’appartiennent qu’à elles : une entrée de métro signée Guimard, une fontaine Wallace avec ses cariatides, un bouquiniste le long de la Seine. La pierre reprend ses droits sur la foule qui s’est enfuie, elle redevient un objet de contemplation. Je pourrais me réjouir de ce spectacle qui brille pour une poignée d’égarés qui ne sont pas partis. Mais le temps radieux m’invite ailleurs.
Ce bonheur d’enfant
J’ai le vague à l’âme de l’été, la nostalgie de l’enfance où le temps du repos était long, heureux, loin de mon quotidien d’écolière. L’été avait le goût de pêche, l’odeur de fleur et de vent, la surprise de l’instant non prévu, le sourire des adultes détendus. C’était si simple, le temps d’enfance, à rêvasser, à bouger sans fatigue ou lassitude, à regarder l’infiniment petit dans une fourmi ou l’infiniment grand dans les constellations célestes.
À l’heure où je devrais travailler, j’aimerais voyager dans ce passé des étés de l’enfance, revoir mon grand-père dans le jardin confectionner pour ma sœur et moi des pagnes de Tahitiennes avec des fanes de carotte. J’aimerais revenir dans l’église où nous allions chaque dimanche célébrer la messe avec ma grand-mère, l’entendre chanter fort à me faire rougir d’être à ses côtés, mettre ma main dans la sienne à l’heure de communier, aller dans le cimetière sur la tombe familiale pour dire un bonjour hebdomadaire à ceux qui sont partis et nettoyer la pierre, l’orner de nouvelles fleurs et enfin revenir dans la maison, rejoindre mon grand-père qui ne croit pas mais respecte la ferveur de son épouse.
J’aimerais retrouver ce bonheur d’enfant fait de grandeurs et de manques, d’engouements et d’ennuis. Pourquoi à l’âge adulte est-ce devenu si complexe de vivre pleinement, sans crainte, en faisant confiance à notre destinée ? Il faudrait faire comme les bouddhistes, laisser passer les nuages des pensées, des obligations, des projections pour fixer sa conscience sur l’instant présent, qui laissera sa place à un autre instant.
Une question de conscience
Il faudrait être comme les poètes qui n’ont pas besoin de sortir de chez eux pour déambuler dans la nature et être en communion avec le monde : « J’irai dans les sentiers, / Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : / Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. / Je laisserai le vent baigner ma tête nue. / Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : / Mais l’amour infini me montera dans
l’âme », écrit Rimbaud dans son poème Sensation.
Il faudrait être comme les voyants, sentir le ravissement spirituel, quitter nos pesanteurs, se retourner et voir le ciel ouvert comme Jean à Patmos. Que l’on reste, que l’on parte, on voit bien que tout ceci est une question de conscience. Vacances ou non, il s’agit de trouver la bonne orientation, celle qui mène à l’Orient de nous-mêmes, vers la lumière qui est la nôtre.
Alors les nuages, les nostalgies seront laissées à ce qu’ils sont, des souvenirs. Si vous partez en vacances ou si vous ne partez pas, - puissiez-vous goûter les pêches et sentir l’odeur du vent. « Ici une buée, et là une buée / Et après la Clarté ! » (Emily Dickinson).
Paule Amblard
Historienne de l’art, spécialisée dans l’art du Moyen Âge et la symbolique chrétienne, elle est l’autrice de l’Apocalypse de saint Jean, illustrée par la tapisserie d’Angers (Diane de Selliers, 2010), des Enfants de Notre-Dame et de la Chambre de l’âme (Salvator, 2021 et 2023).
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