Un coffret de trois pièces, filmées par Serge Khalfon, est proposé par les Éditions Montparnasse. Et nous sommes heureux que ce soit l’interprétation de l’auteur, car il est un très bon comédien, que l’on puisse suivre dans deux d’entre elles, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et Madame Pylinska et le secret de Chopin.
Ce coffret contient aussi un entretien exclusif avec Éric-Emmanuel Schmitt, tourné dans son théâtre à Paris (Théâtre Rive Gauche) qui a été mené avec précision par François Vila. On y apprend qu’il est devenu comédien en quelque sorte pour rendre service (il s’agissait d’effectuer un remplacement juste quelques soirs et il avait l’avantage évident de ne pas devoir apprendre le texte). Il s’est -comme on dit- pris au jeu. De fait, il est excellent et la version interprétée par lui a été plébiscitée par le public. Il a donc poursuivi.C’est cependant une autre pièce qui a révélé et consacré Éric-Emmanuel Schmitt en France en obtenant 3 Molière et c’est elle qui est la plus jouée dans le monde. Le visiteur est présentée ici dans la mise en scène de Johanna Boyé qui a rencontré un beau succès autant au festival d’Avignon (article 15 juillet 21) -où j’ai eu la chance de la découvrir- qu’à Paris en 2020.C’est avec plaisir que j’ai regardé ces trois pièces dont je connaissais bien le texte pour la première et la troisième et qui fut une découverte pour la seconde. Je vais brièvement les présenter en espérant provoquer votre intérêt à les voir, en l’occurrence dans leur version filmée, car elle est très réussie et ensuite au théâtre lors d’une reprise éventuelle parce que leur intérêt est intemporel.Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (enregistré en 2020)Anne Bourgeois singe une mise en scène, efficace, comme à son habitude. La scénographie est fonctionnelle, se déployant entre trois zones. La boutique est symbolisée par trois cageots et quelques pommes posés au centre de la scène La conversation entre l’enfant et l’épicier se limitera d’abord à une phrase par jour. Eric-Emanuel Schmitt prend un malin plaisir à imiter les voix de l’enfant et de l’épicier. Il faut dire qu’il y excelle et que le spectateur y discernera une franche gourmandise. L’enregistrement ayant été fait en public on apprécie d’entendre les réactions joyeuses de la salle. En tant qu’auteur il fait l’éloge du vol et l’apologie du sourire avec un sens de la formule hors pair, comparant la Seine et ses ponts au bras d’une femme ornés de bracelets. Ou présentant Monsieur Ibrahim comme le seul arabe d’une rue juive, qualificatif qu’il refuse d’ailleurs d’accepter, préférant se dire musulman.Les dialogues nous valent des leçons de philosophie : il faut aller chercher le « oui ». Le « non » on l’a déjà dans la poche.
Il sait faire preuve d’ironie, se plaignant que les dictionnaires n’expliquent bien que les mots qu’on connait déjà. Mais c’est surtout la tendresse qui marque cette oeuvre glorifiant la paternité de substitution.Un seul détail m’a dérangée, l’emploi de la bande-son du film Le mépris de Jean-Luc Godard (1963) parce que le film est bien postérieur à l’époque supposée des faits qui sont racontés. Cela étant le dialogue entre Brigitte Bardot et Michel Piccoli est un morceau d’anthologie fort savoureux.Madame Pylinska et le secret de Chopin (enregistré en 2022)En tant que spectateur on ressent cette histoire en éprouvant le sentiment d’entendre une confession autobiographique. En effet, il aurait pu faire semblant de jouer du piano mais non, et l’instrument n’est pas un accessoire.Il le décrit comme un animal et sait trouver les mots pour nous faire entrer dans son univers : Les avares n’écoutent qu’avec leurs oreilles alors qu’il faut laisser la musique envahir la totalité du corps.Le spectacle est ponctué de quelques extraits mais aussi de longs morceaux et l’auteur-comédien partagé véritablement la scène avec le musicien qui est, à juste titre, applaudi régulièrement.Nous assistons autant à du théâtre qu’à un récital. J’ai reconnu la Valse de l’adieu, composée en 1835 par Frédéric Chopin, qui arrive à point nommé mais on peut juste regretter que la liste des morceaux ne figure pas au générique.Comme dans la première pièce, Eric-Emmanuel Schmitt joue avec les accents. Madame Pylinska est probablement inspirée du phrasé d’Alice Sapricht mais point n’est besoin de l’avoir connue pour apprécier l’interprétation. Et la prononciation du nom de Litz est inhabituelle pour nous mais savoureuse.Quant à la méthode de la professeure de piano, si elle semble farfelue, construite autour d’exercices de ronds dans l’eau et de rosée, elle se révèlera pleine de bons sens.