On aurait tort de ne pas prendre au sérieux la tentative des Insoumis et de certains de leurs alliés d’installer Lucie Castets à Matignon. Non que l’impétrante, sorte de bébé éprouvette de l’énarchie socialiste qui ne dispose ni de réseau personnel, ni de notoriété, ni de talent évident, ni de services signalés, soit par elle-même une candidate crédible.
Mais qu’en cas de nomination comme Premier ministre elle pourrait être la première pièce, la première étape d’une tentative de prise du pouvoir par la force.
Hypothèse gratuite et saugrenue ? Prenons à la fois les textes constitutionnels et les déclarations de Castets et de ceux qui la soutiennent.
Ils sont, disent-ils, légitimes car ils ont le plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. Cela est faux car le Nouveau Front populaire est une coalition de groupes et que le groupe du Rassemblement National est, pris isolément, le plus nombreux. Mais passons car il s’agit bel et bien de former une alliance et que, de prime abord, celle du Nouveau Front populaire compte effectivement le plus de députés.
Le vrai problème et le vrai danger ne sont pas là et ne tiennent pas à la légitimité plus ou moins grande des Insoumis.
Ecoutons-les attentivement. Lucie Castets déclare qu’elle a bien conscience de ne pas disposer de majorité absolue et qu’en conséquence elle gouvernera autant que possible par décrets ou en cherchant des coalitions ponctuelles sur des projets de lois.
Elle ne sollicitera donc pas la confiance de l’Assemblée nationale - n’engagera pas la responsabilité de son équipe sur un programme comme il est dit sous la Cinquième République - sachant pertinemment qu’elle ne l’obtiendrait pas.
Fort bien, me direz-vous, mais ce n’est pas grave : ses opposants pourront déposer à la première occasion une motion de censure pour se débarrasser du gouvernement NFP. L’alliance de circonstance des Macronistes, des Républicains et du Rassemblement national ferait l’affaire.
C’est là que le bât blesse.
Selon les termes de l’article 8 de la constitution, une fois nommé par le Président de la République, le Premier ministre propose au chef de l’Etat les autres membres du gouvernement que ce dernier nomme alors. Bref, si le NFP a réussi à imposer Castets elle aura la main et les autres ministres suivront.
Mais, plus avant dans le texte, l’article 47 deuxième alinéa de la même constitution est très peu disert sur ce qu’il advient si une éventuelle motion de censure est adoptée, situation qui ne s’est d’ailleurs produite qu’en 1962. A l’époque De Gaulle a pu régler la question par une dissolution. Aujourd’hui, en l’absence de majorité alternative, et ce point est capital, le gouvernement censuré pourrait affirmer avec mauvaise foi qu’il continue d’expédier les affaires courantes, comme le fait actuellement et depuis bien trop longtemps le gouvernement Attal dans une parfaite mauvaise foi lui-aussi.
Pour être tout à fait clair : un gouvernement Castets censuré pourrait soutenir que, tant qu’un autre Premier ministre n’a pas été désigné par le Président, un nouveau gouvernement formé et surtout que l’Assemblée ne lui a pas accordé sa confiance il reste en place pour expédier les affaires courantes puisque l’existence d’une solution alternative n’est pas prouvée.
Et, soulignons-le, le Président de la République n’a pas le pouvoir constitutionnel de démettre le gouvernement en fonctions. Toujours selon l’article 8 de la constitution en effet : «Il met fin à ses fonctions sur la présentation par (le Premier ministre) de la démission du Gouvernement. » Castets pourrait donc parfaitement faire de la résistance même après une motion de censure.
Or, pour qu’une alternative au gouvernement NFP se concrétise il faudrait que les opposants à Castets disposent d’une majorité crédible ce qui passerait par un renversement d’alliance et une coalition des trois quarts des socialistes et écologistes au moins, de l’intégralité des Républicains et de la totalité des Macronistes, hypothèse improbable surtout après qu’écologistes et socialistes aient fait gouvernement commun avec les Insoumis. Le seul autre scénario serait qu’à un moment ou à un autre Macron fasse un geste d’apaisement en direction du Rassemblement national pour s’assurer de sa neutralité temporaire en cas de motion de censure contre un nouveau gouvernement.
Revenons à ce qui se passerait alors concrètement dans les ministères.
On peut être sûr que Mélenchon, fin stratège, fera en sorte que les compétences névralgiques : Intérieur, Armées, Finance, Justice, Diplomatie, Communication soient immédiatement sous son contrôle total. Il laissera des hochets à ses alliés et peut-être même à quelques idiots utiles du centre et de la droite pour faire croire à sa bonne foi et à sa tolérance mais se gardera la réalité du pouvoir gouvernemental.
Au même moment les nervis LFIstes, qu’on a vu par exemple à l’œuvre pour l’élection de Raphaël Arnault dans la première circonscription du Vaucluse, pourraient créer des comités de résistance sur le thème du : « Touche pas à mon ministère » ou du : « Non au gouvernement fasciste » avec d’autant plus de facilité qu’un nouveau gouvernement ne leur serait pas opposable.
Faute d’avoir barre directe sur la police et même l’armée, soumises à des injonctions contradictoires avec celles du gouvernement, le Président aurait le plus grand mal à engager l’affrontement avec la France insoumise. La sainte frousse montrée par Emmanuel Macron au moment des Gilets Jaunes qui avaient pourtant bien moins de moyens de le contraindre fait plutôt penser qu’il privilégierait la fuite.
Ce scénario a peut-être l’air impensable ou farfelu mais en suivant étape après étape son raisonnement on se rend compte qu’il est en réalité loin d’être impossible. La constitution de 1958 est très imparfaite pour régler la situation dans laquelle nous nous trouvons, c’est le fond du problème.
N’oublions pas que Mélenchon est un trotskyste pour qui la fin justifie tous les moyens et toutes les dissimulations. L’hypothèse d’un pouvoir mi-insurrectionnel mi-légal de type commune de Paris sous la Révolution de 1789 (à ne pas confondre avec celle de 1871) ne lui fait sûrement pas peur. Qui aurait cru possible, en 1788, ce qui s’est effectivement produit un an plus tard ?
Aussi le principe de précaution qui vaut pour la constitution autant que pour la date de péremption de yaourts commande qu’en aucun cas, EN AUCUN CAS, Castets ou un quelconque Premier ministre soumis aux Insoumis ne mette les pieds à Matignon.
Des Macronistes au Rassemblement national chacun devrait avoir cela à l’esprit.