Hébert Edau: accommodez-vous du paysage…

Publié le 18 août 2024 par Aicasc @aica_sc

Peut-être avez- vous déjà été, comme je l’ai été moi-même, longuement et fortement intrigués par ces paires de baskets accrochées aux fils électriques. Comment sont – elles arrivées là ? Qui les y a placées et pourquoi ?

Shoes tossing

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Shoes tossing

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De multiples explications circulent à propos de ce phénomène -que l’on dit mondial- du lancer de chaussures liées par les lacets pour qu’elles pendent des lignes électriques aériennes ou des câbles téléphoniques. Simple jeu d’adresse pour adolescents désœuvrés ?

Shoes tossing, un nouvel art urbain ?

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Le shoefiti (contraction de shoes et de graffiti) ou encore shoes tossing  serait une nouvelle forme d’art urbain. Mais on dit aussi, que c’est une façon pour les bandes de marquer leur territoire ou de rendre hommage à un camarade décédé ou de fêter la fin d’une année scolaire ou même la perte de sa virginité. On prétend encore que les gangs signalent ainsi un point de vente de drogue.

Hébert Edau
Accommodez vous du Paysage

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Mais voilà que le shoes  clinging apparaît dans une série récente du plasticien Hébert Edau. C’est à un fil barbelé agressif que s’accrochent les chaussures. Il y a aujourd’hui une suite de huit toiles. La première de deux mètres sur deux mètres a été exposée en 2019 à Sainte-Anne en Guadeloupe dans une exposition collective titrée Grands horizons. Plus récemment le public a pu les apprécier à la Fondation Clément lors d’une exposition personnelle Paysages immergés.

Une peinture de Stanley Greaves faisait déjà allusion au shoes clinging

Stanley Greaves
There is a meeting here tonight, série narrative de treize tableaux 1992-1993

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C’est une rupture radicale dans le style pictural d’Edau qui jusque là s’était consacré à l’abstraction avec les séries Grands paysages, Cadastre, Parcelle, toutes marquant un fort attachement à son territoire.

Les toiles, de grand format, sont attractives et séduisantes, hautes en couleurs avec une dominante rouge et jaune et  quelques touches de vert. Vous voilà comme immergé dans un foisonnement végétal mais très vite intrigué par l’intrusion du phénomène  urbain du shoefiti dans cet univers agraire. D’autant plus que les baskets sont sanguinolentes.

Dans le coin inférieur gauche de l’un des tableaux, une paire de bottes d’ouvrier agricole forme contraste avec les chaussures de tennis dont on reconnaît la marque : le logo Swoosh de Nike qui symbolise l’aile de la déesse grecque de la victoire appelée Niké ou l’étoile des Golden goose qui flirtent avec les cinq cents euros.

Hébert Edau
Accommodez vous du Paysage

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Ce sont les trois cultures post-coloniales qui sont représentées, la canne à sucre qui fait son apparition aux Antilles vers 1640, La banane introduite en 1930, l’ananas, certes originaire de l’Amérique du sud et des Caraïbes, culture vivrière à l’origine dont  une tentative industrielle a globalement échoué mais qui comme les deux premières sont exploitées pour l’exportation.

Le titre Accommodez-vous du paysage, emprunté au Cahier d’un retour au Pays natal d’Aimé Césaire  confirme la critique sociale et politique sous-jacente.

Hébert Edau
Accommodez vous du Paysage

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 Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas de vous (1). La formule lapidaire fondée sur le chiasme marque une opposition que l’on retrouve d’une certaine façon dans la toile entre les bottes de l’agriculteur et les baskets de luxe, indice  de  consommation excessive.

Edau  montre ce qu’on  ne veut pas voir.  L’impératif ironique serait- il une antiphrase, invitant justement à ne pas s’en accommoder ?  Le shoes clinging s’enrichit avec Edau d’une nuance supplémentaire : les chaussures suspendues dénotent l’immobilisme d’un pays figé où tout progrès est suspendu, où les forçats de l’agriculture continuent de suer sang et eau, où cependant l’hyper consommation règne.

L’artiste dit vouloir aussi faire référence à la célèbre chanson de Billie Holiday, Strange Fruit.

Ma peinture est méditative dit Edau. Le temps y joue un rôle déterminant. Entre la première toile de 2019 et celles d’aujourd’hui, quatre années se sont écoulées. L’exécution des tableaux par recouvrement successif est toujours patiente.

Il y a le temps de la création.

Et il y a le temps du choc face à cette luxuriance éclatante et celui de l’observation, du questionnement, de l’interprétation. Comme le dit le peintre, Sé déyè bwa ki ni bwa, qui n’évoque pas ici la tâche dont on ne voit pas le bout, mais la nécessité pour le regardeur d’aller au-delà de la première impression, d’interroger la peinture pour l’apprécier et la comprendre.

Dominique Brebion

1 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal 1939