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Bibles anciennes sans la variante des trois témoins célestes (1 Jean 5:6-8) ou indiquant son inauthenticité

Par Monarchomaque

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Aujourd'hui, certains défenseurs du "texte reçu" grec du Nouveau Testament (en général) et de l'addition non-johannique des trois témoins célestes dans 1 Jean 5:6-8 (en particulier) affirment que l'omission de cette variante textuelle ou l'expression de réserves quant à son authenticité (via des parenthèses, des crochets et des notes marginales ou infrapaginales) est - à l'exception des N.T. d'Érasme de 1516 & 1519 - essentiellement une innovation des " Bibles modernes " supposément bricolées par des éditeurs modernistes infréquentables. Le document consultable ci-dessous démontre que l'historique du traitement éditorial de cette variante est beaucoup plus nuancé que cela.

Document aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.

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La "canonisation" de l'addition non-johannique dans les bibliologies protestantes

À l'origine, les premiers traducteurs, éditeurs et imprimeurs des Bibles protestantes actifs pendant la Réformation du XVIème siècle n'étaient guère complexés par cette réalité textuelle. Ils ne faisaient aucun secret de l'incertitude affectant la variante des trois témoins célestes de 1 Jean 5:6-8 et n'entretenaient aucun tabou à son égard. En fait, chronologiquement, cette interpolation pseudo-johannique a eu beaucoup de difficulté à s'imposer dans la bibliologie évangélique européenne.

Tel que le démontrent les extraits reproduits dans le document ci-dessus, dans le protestantisme francophone, cet ajout textuel ne s'imposa qu'à partir de 1553 (la période de sa remise en question s'étendit de 1535 à 1551, soit presque deux décennies). Dans le protestantisme anglophone, cet ajout textuel ne s'imposa qu'à partir de 1568 (son questionnement s'étala de 1534 à 1566, soit pendant plus que trois décennies). Dans le protestantisme germanophone, cet ajout textuel ne s'imposa qu'après 1620 (sa contestation s'échelonna ainsi de 1522 à 1620, elle dura donc carrément un siècle !).

Ce " triomphe " comparativement très tardif de l'addition non-johannique dans les milieux luthériens et réformés de langue allemande s'explique par le fait que le réformateur de Wittenberg en Saxe, Martin Luther (1483-1546), était ouvertement opposé à l'authenticité de cette addition. Ainsi, elle ne figure nullement dans sa traduction allemande du N.T. parue en 1522, ni dans sa traduction de la Bible complète parue en 1534, ni dans sa révision de la Bible entière parue en 1541 puis réimprimée de son vivant en 1542, 1543, 1544 et 1545.

Luther exprima son opposition à l'originalité de cette addition en ces termes : " Les livres grecs n'ont pas ces mots, et il semble que ce verset fut inséré par les catholiques à cause des ariens, mais pas avec justesse, car lorsque [ l'apôtre] Jean parle des témoins, il parle de ceux qui sont sur la terre, et non de ceux qui sont dans le ciel. " {Source : Martin Luther, Cours sur la 1ère Épître de Jean dispensé à l'Université de Wittenberg, 30 octobre 1527 (dix ans jour-pour-jour après la veille du déclenchement symbolique de la Réformation le 31 octobre 1517), reproduit dans Luther's Works, Vol. 30, Concordia Publishing House, Saint-Louis (Missouri), 1959, p. 318.}

Les dernières Bibles allemandes à omettre totalement cette insertion pseudo-johannique furent publiées à Wittenberg et Hambourg en 1620. {Source : Ezra Abbot, ‹ 1 John v. 7 and Luther's German Bible ›, 1888, p. 462.} Pourquoi Wittenberg ? Facile : c'est le berceau du luthéranisme. Mais pourquoi Hambourg ? Car c'est notamment là qu'un proche collaborateur de Luther, le réformateur poméranien Johannes Bugenhagen (1485-1558), un autre farouche opposant à l'addition non-johannique, exerça une partie de son ministère professoral et pastoral. Et surtout, pourquoi 1620 ? C'est l'année inaugurale d'une pénible décennie de débâcles politiques & militaires protestantes dans la Guerre de Trente ans, un conflit dont l'enjeu initial était rien de moins que la survie du protestantisme à l'échelle européenne.

En 1620, la Bohême protestante est écrasée à la Bataille de la Montagne Blanche. En 1621, l'" Union protestante " allemande du Saint-Empire - intimidée par les autorités impériales d'obédience papiste - se dissout formellement et le Haut-Palatinat calviniste est annexé par la Bavière catholique. En 1622, le Bas-Palatinat calviniste est conquis et pillé par l'armée de la Ligue catholique (chute des cités de Heidelberg puis de Mannheim). En 1623 et 1626, les protestants allemands sont encore battus à Stadtlohn (Westphalie) et à Dessau-Roßlau (Moyenne-Saxe). Toujours en 1626, les forces luthériennes de secours du Roi du Danemark (qui était aussi un prince " allemand " via sa possession du Duché de Holstein) sont défaites par la Ligue catholique à la Bataille de Lutter-am-Barenberge en Basse-Saxe, suite à quoi le Danemark lui-même est envahi lorsque les troupes papistes impériales ravagent la péninsule du Jutland. En 1628, l'ultime défaite de l'armée danoise à la Bataille de Wolgast en Poméranie consolide la domination catholique en Europe centrale. En 1629, l'Empereur Ferdinand II de Habsbourg promulgue l' Édit de Restitution, obligeant les protestants du Saint-Empire à céder aux catholiques tous les bâtiments & terres ecclésiastiques qu'ils avaient acquis des cathos depuis 1552 ! En 1631, 20 000 civils protestants allemands sont massacrés par la soldatesque papiste à l'issue du Siège de Magdebourg.

J'avance l'hypothèse qu'au XVIIème siècle, la pression géopolitique, militaire et économique exercée par la Contre-Réforme catholique sur le protestantisme allemand assiégé et traumatisé a vraisemblablement eu des répercussions observables jusque dans sa bibliologie.

Cette hypothèse tient compte du fait que dans le contexte des hostilités inter-confessionnelles de cette époque, le front religieux n'était pas séparé du front politique & militaire. Dès 1604, pendant la montée des tensions préludant à la Guerre de Trente ans, le polémiste jésuite Nicolaus Serarius accusa les luthériens d'être des anti-trinitaires comme les musulmans ; puis en 1612 il accusa la Bible de Luther de rejeter l'addition non-johannique à l'instar des " nouveaux ariens ". De 1607 à 1610, le théologien capucin Lorenzo de Brindisi - un mandataire officiel de la Papauté à travers l'Europe ainsi qu'un ambassadeur officiel de la Ligue catholique et un aumônier de ses armées - insinua que Luther avait arraché l'addition non-johannique de sa Bible parce qu'il niait la Trinité. Les professeurs jésuites Adam Tanner (à Ingolstadt en Haute-Bavière) et James Sharpe (à Louvain au Brabant) lancèrent des attaques de la même teneur contre l'exclusion de cette variante dans la bibliologie luthérienne en 1613 et 1630, respectivement. {Source : Grantley McDonald, Raising the Ghost of Arius, thèse doctorale soutenue à l'Université de Leyde en Hollande, 2011, p. 166-170.}

Eut égard à cette conjoncture historique, il est vraisemblable de soutenir que les assauts répétés subis par les protestants germanophones dans la première moitié du XVIIème siècle les poussèrent à se souder et à éliminer cette divergence interne (l'absence ou présence de l'addition non-johannique) dans leur texte biblique imprimé afin que l'omission de cette variante cesse de servir d'argument pour les agresser.

En fort contraste avec la situation ayant prévalu en Allemagne et en Suisse alémanique, le " triomphe " comparativement rapide de l'addition non-johannique dans la bibliologie protestante de langue française s'explique en bonne partie par le fait qu'au milieu du XVIème siècle, ses capitales intellectuelles étaient essentiellement cantonnées en Suisse romande (Genève, Lausanne, Neuchâtel). Cette concentration circonstancielle du leadership académique et de l'industrie de l'impression biblique fit en sorte qu'il était beaucoup plus facile d'y standardiser un texte commun.

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L'erreur typographique dans le "texte reçu" de 1550

Dans les discussions sur l'(in)authenticité de l'addition non-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8, les tenants de l'authenticité font souvent appel à des arguments d'autorité en citant des affirmations d'une palette de " héros de la foi " (tels Jean Calvin, John Gill, Matthew Henry ou John Wesley) à l'effet que cette variante textuelle serait - contrairement à ce que ne cessent de prouver ses détracteurs - attestée par la vaste majorité des manuscrits grecs de la 1ère Épître de Jean.

Parmi les nombreux exemples d'affirmations pompeuses se rapportant à cette variante que l'on puisse dépoussiérer dans les annales de la bibliologie historique chrétienne, j'en citerai trois. La première affirmation est celle faite par Jean Calvin dans son commentaire français sur les épîtres canoniques de 1562 où il écrit que l'addition non-johannique " se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects " :

" Tout ceci a été omis par aucuns [c-à-d par plusieurs ...]. Mais d'autant que les livres grecs mêmes ne s'accordent pas l'un avec l'autre [ sic], à grand'peine en ose-je rien affirmer [?!]. Toutefois pource que le fil du texte coule très-bien si ce membre y est ajouté, et je voie qu' il se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects, de ma part je le reçois volontiers. " { Transcription de Max Engamarre (cf. note 57), orthographe légèrement modernisée par moi-même. Je cite l'édition française originale de 1562 parce que les rééditions faites par la Librairie Meyrueis en 1855 puis par les Éd. Labor & Fides en 1968 (réimprimée par les Éd. Kerygma et les Éd. Farel en 1992) contiennent une coquille.}

La 2ème affirmation grandiloquente (et gravement erronée) provient d'une note d'étude sur 1 Jean 5:7 dans la Bible réformée néerlandaise dite des États-Généraux ( Statenbijbel ou Statenvertaling) de 1637, qui se lit comme suit :

" Ce verset, vu qu'il contient un témoignage très clair de la Sainte Trinité [ sic], semble avoir été écarté de certaines copies par les ariens [ sic], mais on le trouve dans presque toutes les copies grecques [!!!], et même dans beaucoup d'anciens et dignes docteurs qui vivaient avant l'époque des ariens [ sic], et qui en ont tiré une preuve de la Sainte Trinité ; et l'opposition des témoins sur la terre, au verset 8, montre clairement que ce verset doit se trouver là, comme le montre aussi le 9ème verset, où il est parlé de ce témoignage de Dieu. " {Ma traduction française de la traduction anglaise diffusée par Christian McShaffrey sur un site de l'Alliance of Confessing Evangelicals.}

La 3ème affirmation qui me sert d'exemple se trouve dans la Bible David Martin 1707 (publiée à Amsterdam par ce pasteur réformé français réfugié aux Pays-Bas) - plus précisément dans sa Préface à 1 Jean (p. 404-405). Voici l'extrait pertinent que je reproduis avec son criant manque d'irénisme :

" L'hérésie antitrinitaire frémit à la vue de ce passage, qui est pour elle un coup de foudre dont elle sent bien la force, mais aussi il n'est rien qu'elle ne fasse pour le détourner & s'en garantir. Le principal moyen dont elle se sert pour cela, c'est de nier que ce passage soit de Saint Jean, & sous prétexte qu'il ne se trouve pas dans tous les anciens manuscrits de cette Épître, & que tous les Pères qui ont écrit anciennement contre l'hérésie d'Arius ne s'en sont point servis pour prouver la Divinité de Jésus-Christ. Les hérétiques d'aujourd'hui, qui ont renouvelé sous un autre nom l'impiété arienne, prétendent tirer de grands avantages de l'omission de ce texte dans plusieurs manuscrits, du silence de quelques Pères, & du Concile même de Nicée, qui ne l'ont point allégué sur les controverses de leur temps, pour en conclure [tel] qu'il est supposé. [...] Car, pour pouvoir se servir raisonnablement d'une semblable réponse, il faudrait que le passage dont il s'agit ne se trouvât que dans un petit nombre de manuscrits, ou pour le moins dans des manuscrits modernes & de peu d'autorité, & qu'il eut été inconnu à toute l'Antiquité chrétienne. Au lieu qu'au contraire ce fameux passage se lit dans un grand nombre de manuscrits [Martin sous-entend ici des manuscrits grecs, puisqu'il invoque la Vulgate latine séparément plus loin], qui sont même des plus anciens, & qu'on le trouve cité dans des livres de la plus vénérable Antiquité ecclésiastique, qui sont tous sans comparaison plus anciens qu'aucun [c-à-d que plusieurs] des manuscrits où ce passage ne se trouve point, & de l'omission duquel les hérétiques modernes & quelques critiques trop audacieux prétendent tirer des conséquences ruineuses contre l'authenticité de ce texte. [...] "

Ces allégations impétueuses et outrancières peuvent aisément nous laisser perplexes, voire abasourdis. Considérant que ZÉRO manuscrit biblique grec valable comme tel ne contient l'addition non-johannique des trois témoins célestes, comment expliquer que ces auteurs des XVI-XVIIIèmes siècles aient pu s'exprimer de manière aussi imprudente et présomptueuse ?

Notre réaction spontanée face à ce genre de fausseté flagrante pourrait être de n'y percevoir que de l'ignorance naïve ou de la mauvaise foi. Cependant, porter un tel jugement rapide sur nos précurseurs n'est pas entièrement satisfaisant pour apprécier la complexité de la réalité historique (bien qu'il soit indéniable que David Martin ait fait preuve d'entêtement et de véhémence immodérée).

Rappelons, pour replacer ce débat dans sa longue durée, que les réformateurs et leurs successeurs immédiats n'avaient accès qu'à une infime fraction de l'abondante masse d'informations à laquelle nous avons accès aujourd'hui. Par exemple, du vivant de Jean Calvin, moins d'une trentaine de manuscrits grecs du N.T. étaient recensés ! Du vivant des éditeurs de la Statenbijbel néerlandaise (milieu du XVIIème siècle), à peine une cinquantaine de manuscrits grecs du N.T. étaient vaguement catalogués. Pendant la période où œuvra David Martin (fl. 1663-1721), environ une maigre centaine de manuscrits grecs du N.T. étaient dûment répertoriés. Aujourd'hui, on en compte plus de 6000 !

Par ailleurs, comme l'explique Michael Marlowe, " entre le milieu du XVIème siècle et la fin du XVIIIème, presque personne ne ressentait le besoin de consulter les manuscrits, car les éditions du texte grec imprimées par Estienne étaient acceptées comme étant pratiquement équivalentes aux ‹ copies les plus approuvées › [ou ‹ les copies les plus fiables › selon le luthérien danois Niels Hemmingsen en 1569]. " Le phénomène de la paresse intellectuelle ne date pas d'hier matin. Or c'est justement une erreur typographique dans l'Editio Regia (le "texte reçu" grec édité par Robert Estienne en tant qu'imprimeur officiel du Roi de France à Paris en 1550) qui contribua tôt dans la Réformation à répandre l'idée fausse que l'addition non-johannique en 1 Jean 5:6-8 était excellemment attestée dans le corpus des manuscrits grecs du N.T.

Voici comment deux auteurs expliquent ce détour malencontreux de la philologie biblique occidentale :

La synthèse de J.P.P. Martin est aussi exacte qu'éloquente : L'imprimerie a fait oublier les manuscrits jusqu'au moment où l'on est revenu aux " originaux " (c'est-à-dire aux manuscrits grecs).

Voici l'extrait (annoté par moi-même) de la de l' contenant l'addition non-johannique et la faute de typographie afférente :

C'est précisément cette erreur typographique qui conduisit divers intervenants du domaine de la bibliologie européenne à scander des énormités selon lesquelles la variante des trois témoins célestes " se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects " (Calvin en 1562), qu'elle " [s]e trouve dans presque toutes les copies grecques " (la Statenbijbel en 1637), et que ces manuscrits fictifs " sont même " beaucoup " plus anciens " que les " manuscrits où ce passage ne se trouve point " (Martin en 1707). Mais ± cinq siècles plus tard, nous savons pertinemment que ce n'est pas le cas, et cette vérité est maintenant incontestable.


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