Roman - 250 pages
Editions Le Nouvel Attila - août 2024
Smaïl Benbassa est venu de Tizi Ouzou, Algérie, pour travailler en France, dans la région lyonnaise. Les besoins en main d’œuvre ont conduit à la construction d’un lotissement ouvrier proche de l’usine de tissage de l’Arménien Armand Kechichian mais en marge du Village, que les jeunes rejoignent par un chemin non éclairé. Quand Lalla doit, fraîchement mariée à Smaïl, venir en France à son tour, c’est pour vivre une vie de famille, une vie à cheval entre ses traditions et ce nouveau pays abordé par l’école que fréquenteront les enfants, sans grand succès néanmoins, leurs copains qui pour certains viendront jusqu’à les fréquenter chez eux, au lotissement, ou encore par le travail proposé pour ramasser les fruits l’été, ou pour l’usine. Plusieurs familles maghrébines se côtoient, les Benbassa, les Taïeb, les Amrouche...
Le Village n’est pas précisément nommé, il reste dans un anonymat littéraire, mais on reconnaît bien le région lyonnaise, entre Tarare, Ecully et Givors, entre les monts du lyonnais ruraux et la vallée du Rhône industrielle. Une région de passage, une région de brassage. L’autrice déroule au fil des chapitres plusieurs décennies d’histoire familiale. Elle y souligne à la fois la banalité de ces familles immigrées mais aussi ce brassage qui est davantage entravé pour les filles. On voit comment Olfa Taïeb se réjouit d'échapper aux vacances d'été en Algérie pour rester travailler, comme une parenthèse d'émancipation. Quand Bassou, né en 1981 vit sa vie de jeune libre, même jusqu’au drame issu du malaise de n'avoir pas trouvé sa place, sa grande sœur Jihane aspire à partir vivre au delà du lotissement...
On suit aussi les autres familles, ce qui les unit comme ce qui les sépare. Les années passent, les conformismes parfois se craquèlent : mariage mixte, divorce, rixe, deuil...
Extrait :
"Quand sa grosse figure trembla, les salamalecs furent écourtés. Smaïl et Lalla comprirent que Boualem avalerait Louisa dans le tourbillon de sa tragédie. "J'ai travaillé toute ma vie, toute ma vie. Il ponctua ainsi ses phrases en répétant sans exception tous ses derniers mots. Jusqu'où allait-il remonter comme ça ? Boualem ne partirait pas avant d'avoir vidé son barda, pour que l'on sût quel homme il était et que cette brêle d'avocat plaidât enfin en sa faveur. Non, il n'avait pas rechigné à la tâche depuis trente ans qu'il tenait l'un des postes les plus durs de la verrerie de Givors."
Il reste un petit regret cependant : celui d’être restée sur ma faim. J’aurais apprécié que les parcours de vie soient davantage suivis, que ça ne prenne pas la forme d’un survol parfois, à l’image d’un documentaire qui photographierait des instants volés dans des intimités familiales, sans suivre les parcours des personnages de manière approfondie.
C’est aussi ce qui fait le charme du livre : un survol au fil des années de 1981 à 1998, qui nous donne un aperçu de la vie de plusieurs familles habitant un lotissement ouvrier.
Un très bon premier roman.