La suite de "la Loose".
Pascal et Lucie sont à la terrasse d'un café et attendent les résultas du bac.
Valérie rejoint Pascal et Lucie à la terrasse du café. Son allure pressée, ses gestes décidés, tout chez elle indique la colère.
- Qu’est-ce que je fous là ? Je me demande ! J’apprécie que tu m’aies contacté, Pascal. Ça permettra de vivre la proclamation des résultats ensemble. Mais, c’est pour vous que je suis venue, pas pour moi. Le bac ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je n’ai pas passé toutes les épreuves. A quoi bon ? J’ai définitivement fait une croix sur mes études. Un vieux rêve qui ne se réalisera jamais. Je préfère sacrifier mon niveau d’études et gagner mon indépendance. C’est un choix sur lequel je ne reviendrai pas.
- Tu as bien réfléchi ? Au pire, si tu n’as pas le bac, tu peux redoubler ta terminale, non ?
- Tu rigoles ? Si tu connaissais mieux mes parents, tu me comprendrais. Ils me réprimandent sans cesse et veulent que je devienne celle qu’ils souhaitent et non celle que je voudrais être. Ils ne m’écoutent pas, ne cherche pas à me comprendre. Peu importe ce que je deviendrai. Seule compte à leurs yeux, la réponse qui leur permettra de briller lorsqu’ils recevront leurs amis et que viendra le moment de la conversation où il faudra décliner la situation professionnelle de leurs progénitures. Nous n’avons plus rien en commun et leur simple contact me gène. C’est devenu une sensation quasiment physique.
- Quels sont tes projets ? » s’inquiète Lucie.
- La première chose à faire, c’est me barrer. Pour cela, je dois m’assumer financièrement. Demain, j’aurai une réponse pour un poste de shampouineuse au salon de coiffure du centre commercial où travaille le père de Pascal. Cela peut me dépanner durant deux à trois mois, jusqu’à la rentrée. Je pourrai ainsi envisager la suite plus sereinement.
- Méfie-toi » prévient Pascal. « Ce type d’emploi provisoire peuvent s’éterniser et il est parfois difficile de s’en défaire. Donne-toi les moyens de réaliser tes ambitions. Tu te vois shampouineuse ou caissière une vie entière ?
- Oui. Je suis prête à assumer ce choix pour obtenir, sans attendre, mon indépendance.
Lucie avance la main et entoure celle de Valérie. Elle la presse doucement et d’une voix calme et douce la questionne :
- Qu’y a-t-il exactement entre toi et tes parents ? Je ne comprends ton empressement à vouloir les quitter. Nous connaissons tous ce type de tensions que tu nous décris. C’est caractéristique du fossé de génération qui peut se creuser entre nos parents et nous. Il est normal que nous souhaitions voler de nos propres ailes et quitter le nid familial. Cela peut aussi se passer en douceur, sans colère.
Le ton chaleureux employé par son amie déstabilise Valérie Ses yeux deviennent humides et ceux qui la connaissent bien savent que derrière sa carapace de rockeuse et son emportement continuel se cache une jeune femme fragile et émotive.
- Je me vois que tu me connais bien. On en l’a fait pas à toi. Vous êtes vraiment mes potes mais il y a des choses qui doivent rester dans la famille et que je ne peux pas décrire. Comprenez simplement que ce n’est pas une nouvelle lubie de ma part. Il faut vraiment que je me barre de chez moi.
- Et où comptes-tu aller ?
- Je ne sais pas. J’aimerai que Jean me propose de m’héberger quelque temps. Cela me permettra de chercher une collocation sur la région, un squat, n’importe quoi pour dormir. Vous savez que Jean et moi …
- Oui, vous n’êtes pas vraiment discrets » jette Lucie, amère.
- Peut-être. Je ne sais pas si Jean partage les sentiments que j’ai envers lui. Il a tout pour lui ce type. Beau, intelligent, cultivé et en plus, il chante comme un Dieu. Pourquoi voudrait-il d’une fille paumée comme moi. Je crains qu’il ne considère notre relation comme un batifolage passager. Je ne le sens pas prêt à s’investir durablement dans une relation. Il est trop jeune dans sa tête pour cela. Je patienterai le temps qu’il faudra.
Ses confidences sont interrompues par le son aigu de freins. Ils aperçoivent Fabien qui déboule à toute allure sur son vélo. Il freine de la roue arrière devant les clients et ses amis attablés sur la terrasse. Le groupe se marre et se moque gentiment de lui lorsqu’il s’approche. Il a du mal à respecter les horaires et ses retards sont devenus légendaires. Il a les joues rouges et le regard qui brille. Fabien ne prend pas le temps de reprendre sa respiration, ni de saluer ses camarades. A peine assis, il annonce d’une voix enthousiaste :
- Vous ne devinerez jamais ce qui nous arrive. Cela faisait plusieurs semaines que je tentais d’approcher les maisons de disques. Vous vous rappelez l’enregistrement de notre dernière répétition ? Je l’ai sauvegardé sur une cassette que j’ai dupliquée et transmise.
Sylvie, la serveuse, tente d’interrompre la conversation pour prendre sa commande mais Fabien continue sans même s’apercevoir de sa présence.
- J’ai contacté une à une toutes les grosses maisons d’édition. Elles te prennent pour de la merde et n’accepte même pas de te passer un directeur artistique au téléphone. Tout est fait pour décourager le groupe qui veut se faire connaître mais peu importe. Car nous avons eu une réponse positive !
Le groupe clame sa joie bruyamment, d’une seule voix, provoquant la curiosité de l’ensemble des passants.
- New Rose ? » Pascal n’en revient pas. Il se lève pour applaudir son ami puis esquisse quelques pas de danse. « Le label de Tav Falco, des Fleshtones des Saints, d’Elliot Murphy, d’Alvin Lee, des Cramps et de Bo Diddley ?
- Celui de Calvin Russel et …des Loosers aussi » ajoute Fabien, tout sourire. « Ce courrier est accompagné d’un contrat d’édition dont je souhaite vous parler ».
Il sort de sa veste une enveloppe, en ôte une feuille, la déplie et lit :
- Ce contrat d’édition est conclu pour une seule œuvre soit le titre « pur et dur ». Il contient une clause ci-après précisant que les nouvelles œuvres du groupe « les loosers » seront éditées également par New Rose pendant une durée de trois ans… blabla … Ah, voilà ce que je cherchais. Nous devons en contrepartie d’une avance sur nos ventes et de l’enregistrement en studio de notre single, participer physiquement à sa promotion : tournage d’une vidéo, séances de dédicaces programmées et une tournée de concerts en première partie d’un groupe New Rose. Peut-être les Fleshtones !
- Génial ! » s’écrie Valérie. « Tu ne peux pas imaginer comme cette offre arrive au bon moment pour moi. Nous en parlions juste avant ton arrivée. Je dois prendre une décision. Et entre un poste de shampouineuse ou une tournée des clubs rock en première partie des Fleshtones, j’ai choisi.
- Et, cette tournée se ferait à quelle période ? » s’enquiert Pascal.
- A la rentrée, en septembre et novembre. J’attends les dates exactes et les villes programmées. Pourquoi ?
- N’oublie pas que je me suis inscrit à la fac à la rentrée. Je ne veux pas commencer l’année en séchant les premiers cours.
- Attends » s’inquiète Fabien. « Tu n’es pas en train de nous planter au moment où ça commence à fonctionner pour le groupe ? Tu n’as, tout simplement, pas le droit de nous faire ça. On s’est démené à composer de magnifiques morceaux, à les jouer encore et encore pour arriver à un résultat acceptable. J’ai investi mon argent de poche dans du matériel permettant d’enregistrer dans des conditions convenables. J’ai consacré tout mon temps depuis deux mois à promouvoir le groupe auprès des maisons de disques et des médias nationaux et locaux. Et tu nous annonces que tu préfères suivre des cours de trous du cul avec des étudiants bien peignés ? Tu as l’opportunité de suivre une voie extraordinaire dont beaucoup n’osent même pas rêver et tu nous annonces que tu préfères te consacrer à des études. Mais tu gâches ton potentiel et celui de l’ensemble du groupe en agissant ainsi… je ne te comprends pas …. » Il bafouille, semble prêt à continuer, reprend son souffle. Finalement, après avoir cherché du regard Lucie et Valérie, il se tait.
Pascal allume une cigarette, hausse les épaules et quitte la table en direction de la cour du lycée. Les résultats du bac viennent d’être publiés. Il ne le sait pas encore mais c’est la dernière fois qu’il voit Fabien.