La suite de "la loose", feuilleton de l'été du Café Castor
Les derniers accords de la reprise de Clash « complete control » viennent de s’achever. Le miracle que l’on espérait, s’est produit. L’espace d’un instant, la musique a aboli le temps. Les membres du groupe se sont ressoudés pour former un ensemble homogène. Chacun a retrouvé ses anciens réflexes. Jean a fait attention à ne pas interrompre le solo de Lucie en reprenant trop tôt le couplet, Valérie s’est appliquée à garder un rythme régulier et ne pas accélérer comme elle avait trop tendance à le faire à l’époque. Seul Fabien n’est plus là pour ordonnancer son petit monde et veiller à ce que tout fonctionne.
Jean profite du micro pour amplifier ses paroles.
- Voilà ce que l’on peut qualifier d’une reformation réussie ! Je souhaitais vérifier que le groupe fonctionne encore avant de vous annoncer la nouvelle. Je suis persuadé de notre potentiel comme pouvait l’être Fabien. Il se passe réellement quelque chose d’exceptionnel lorsque nous sommes réunis. Un truc rare que je ne sais pas comment qualifier. Certains appellent cela le mojo, d’autres le feeling. A moins que cela ne soit le talent, l’énergie. Mais peu importe. Cette conviction m’a poussé à nous inscrire à la soirée de découverte des nouveaux talents, les « jeunes charrues ». Vous connaissez les « vieilles charrues », le festival d’été ? Les organisateurs profitent de l’évènement pour faire monter sur scène un groupe qu’ils sélectionnent à l’occasion d’un tremplin qui passe par plusieurs villes de Bretagne. L’inscription est gratuite, ouverte à toute formation de musiciens amateurs et la limite d’âge n’est pas précisée. Alors pourquoi pas nous ? Il suffisait d’envoyer une cassette de démo de trois titres et de remplir un bulletin d’inscription. Ce que j’ai fait.
- Et qu’est-ce qui nous attend ?
- Demain soir, nous sommes attendus pas très loin d’ici. A Saint-Malo, il ya une salle de concerts, l’Omnibus. Nous passons à 22h45 et nous mesurons à quatre autres groupes.
- Tu es fou !
Après la dissolution du groupe, Pascal a continué à jouer de la guitare électrique. Lorsque sa femme et ses enfants étaient couchés, avec un casque, dans son bureau, il ressortait sa guitare de son étui, contemplait ses formes arrondies puis la prenait en main et apprenait les accords qui lui manquaient à l’époque des « loosers ». Son niveau s’était considérablement amélioré, même s’il avait conscience que c’était trop tard. Parfois, pourtant, lorsqu’il recevait des amis, il se vantait d’avoir joué dans un groupe et il y en avait toujours un pour lui demander de lui interpréter un morceau. Alors, inévitablement, il grattait les premiers accords de « purs et durs » et demandait à son public s’il connaissait ce morceau. Bien sûr que ses amis l’identifiaient. Comment oublier la bande son de l’été 87 ? Ce morceau avait envahi les ondes et, partout dans le pays, l’on pogotait sur les pistes de discothèques en levant le poing lors du refrain. Ça marquait une génération !
Le succès du single avait étonné tout le monde. La maison de disque qui avait décidé de sortir sous format 45 tours le morceau sans réenregistrement en studio, s’étonnait de ce succès soudain et avait supplié Fabien, leur interlocuteur, de reformer le groupe, pour organiser une grande tournée. Les Fleshtones auraient même pu faire leur première partie. Et ils exigeaient la livraison d’un nouveau single à présent. Mais chaque demande restait sans réponse. Le groupe n’existait plus, comme ces milliers de groupes de lycéens qui explosent une fois le bac en poche. Sauf que les « loosers » avaient connu le succès. Mais, rien n’y avait changé.
Depuis ce café pris à la terrasse du café, Fabien avait tiré un trait sur ses rêves de gloire et vouait à Pascal une haine vivace. Il le tenait pour responsable du naufrage du groupe et n’avait pas compris sa décision. Pascal aurait pu se mettre suffisamment d’argent de côté pour financer ses études. Son discours moralisateur sur son devoir de fils, la responsabilité qu’il avait envers son père pour lui ramener un diplôme. Des conneries. Même son père boucher ne serait pas passer à côté d’un aussi beau paquet de pognon et cela lui aurait évité de se saigner pour payer ses études à son con de fils. Le temps avait passé et les interrogations s’étaient muées en certitude. Celle d’avoir foiré, d’être passé tout près de la gloire.