Alain Dister est mort mercredi 2 juillet. Il fait partie des très rares critiques rock à pouvoir affirmer « j’y étais » et il aurait pu être le grand frère que je n’ai pas eu, celui qui montre la voie et que l’on envie pour la liberté que son âge et son indépendance lui ont permis de conquérir .
Dans la France des années 60, déjà il porte le cheveu long et le blouson noir. « On étouffait sous une chape d’interdits capillaires et vestimentaires ». Il s’imprègne de la littérature anglo-saxonne de Kerouac ou de Ginsberg. Il essaye de dénicher des disques importés à Lido Musique.
Le 1er juillet 1966, une amie lui colle sous le nez une publicité pour un vol charter vers les USA. 640 francs, payables en trois fois. C’est le prix du rêve pour découvrir New-York. Il fonce sans trop réfléchir et découvre la « violence, la crasse, l’indifférence et toutes les solitudes du Greenwich Hotel ». Finalement, il dort dehors et découvre l’univers de la nuit, la défonce, les rencontres étranges. Et au hasard des rencontres, un type lui propose de l’accompagner jusqu‘à Los Angeles. Il a une semaine pour conduire une Pontiac cabriolet Bonneville jusqu’à Hollywood.
Le 26 juillet, il apprend à la radio le crash de Bob Dylan en moto. Le périple se poursuit. Il découvre Tijuana au Mexique, se décide à photographier les musiciens locaux. A l’age de 10 ans, un cadeau offert par une amie de la famille, un appareil photo en bakélite noir va décider de son destin. « Reporter photographe » avait-il répondu à une interrogation de composition française dont le sujet était : « Quel métier aimeriez-vous exercer plus tard ».
Une serveuse lui propose de prendre des clichés d’un copain qui démarre un groupe. « ça peut l’intéresser que vous le preniez en photo ». C’est Franck Zappa et les Mothers of Invention. Il rate de peu Elvis Presley mais rencontre Sonny and Cher, les Beach Boys.
Lien vers ses photos
Au hasard des rencontres, il vit de l’intérieur le rêve hippie. Il pose ses valises à San-Francisco puis repart vers le Canada puis …
Je ne sais pas à quel âge, j’ai commencé à lire les écrits de ce type dans Rock’n Folk. Son premier article, il l’a écrit le mercredi 6 septembre 1967, « attablé dans un café au coin de Haight et de Stanyan (…)». Ce dont je suis certain, c’est qu’il vivait ce que j’avais l’impression d’avoir raté, né trop tard, perdu au fond de ma campagne, loin de toute cette frénésie enfumée. Je rêvais de cette Amérique mythique et inaccessible. Lassé de Tintin, je suivais ses aventures comme j’avais pu suivre celle du petit reporter belge. Dister et le Grateful Dead, Dister et la drogue, … Il était là où il fallait être, au moment où il fallait y être. Et chaque épisode de son périple dans la Californie des sixties et seventies me plongeait dans un mélange de rêverie, de frustration et de curiosité.
J’ai eu l’occasion de le rencontrer, quelques mots échangés sur un stand littéraire déserté. Juste lui et moi, intimidé, forcément. Une discussion à bâtons rompus sur … le rock, San Francisco aussi. J’avais habité là-bas quelques mois, pour retrouver l’ambiance de ses écrits. Mais l’époque avait changé. C’est là qu’il me confia qu’il ne fallait pas vivre dans le passé, que le présent était riche d’expérience et que, après les yuppies, les start-up et tous les excès des 80’s et 90 ‘s, le rêve beatnik pouvait réapparaître. Il en avait perçu les prémices lors de son dernier voyage là-bas. Il y a quelques semaines, à ce même rendez-vous littéraire (les Etonnants Voyageurs de Saint-Malo), je l’ai cherché. Je suis passé plusieurs fois devant son stand. Je ne l’ai pas vu. J’avais tellement de choses à lui dire.
Dans son récit « Oh, hippie days ! », il raconte sa rencontre avec Janis Joplin :
« Janis Joplin passe au Carrousel Ballroom pour la fête des Hell's Angels. Une bouteille de Southern Cornfort à la main, elle provoque les spectateurs du premier rang, exige du bon temps pour tous, annonce qu'elle a besoin de cette fichue bouteille pour noyer sa méthédrine, et attaque ses chansons avec une belle énergie, persuadée que son groupe, Big Brother, va la suivre. Elle démarre trop tôt, se retourne vers ses musiciens, penauds, ben quoi, on n'est pas prêts! et tout le monde éclate de rire. Les Angels sont les rois de la fête. Les caisses de bière défilent. BackstageJ'ai rencontré une petite Noire craquante, Sarah. Amie, groupie de la bande de Big Brother. On a commencé à se léchouiller les babines. On est en train de se rouler de furieux pâlots quand Janis, du fond de sa loge, crie dans notre direction : «Come on Frenchie!» Un roadie s'approche : «Hey.je crois bien que Janis voudrait te parler... » et la voilà qui m'embrasse à pleine bouche. Janis qui me roule la pelle du siècle, sous l'œil de Sarah, un peu interloquée. Mais bon, elle attendra, Sarah, question de hiérarchie. Autour de Janis, le bal des amis et connaissances a repris. Courtisans, managers, groupies, dealers... chacun voulant effacer l'autre devant elle, renvoyée à sa solitude. Fallait peut-être que j'insiste, que je me laisse entraîner, on aurait vécu quelque chose. Pas forcément inoubliable, mais quand même. Au lieu de quoi, je suis reparti avec Sarah, laissant Janis à sa petite foule. Et Sarah, ça lui a fait plaisir de baiser avec un Français? Ou bien avec le type qui venait de rouler des patins à Janis? Comme de la poussière de gloire, un peu d'amour par délégation... »
Voilà, à sa façon, chacun de ses articles laissait entrevoir ce monde merveilleux que pouvaient être les USA de la fin des années 60 et des années 70. Des pages glacées de Rock’n Folk s’échappait cette poussière de gloire. Il est allé au bout de ses rêves. Il erre à présent, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, à bord d’une belle Pontiac cabriolet Bonneville, avec Franck Zappa au volant et lui, à l’arrière avec Janis Joplin qui lui roule des pelles.