Quand j’étais enfant, mes parents ne manquaient jamais en début d’été de glisser dans les bagages un cahier pour les leçons quotidiennes (lecture, calcul, exercices de grammaire et de conjugaison), histoire de ne pas tout oublier sous le soleil des vacances. Ce rendez-vous, un peu fastidieux mais nécessaire, n’était pas si contraignant pour ma petite sœur et moi qui aimions l’école : avec leurs pages colorées sagement remplies à la grande table tandis que Mamie écossait les haricots ou pelait les pommes de terre, les devoirs de vacances constituaient un rituel de l’été au même titre que la sieste sous le tilleul, les parties de nain jaune, la chasse au dahu et la cueillette des mûres.
Du temps pour rien
J’ai grandi ; mes étés ont changé, et mes devoirs aussi. Mais à l’heure des valises, entre les croquettes du chat et la crème solaire, je ne manquerai pas de faire une petite place pour un bagage léger, invisible et bien particulier : oublieuse assumée des règles du pluriel, je l’appelle mon « devoir de vacance ». Parce que le mot « vacance » vient du latin vacuum qui désigne le vide, il est bon de vivre parfois sans projet ni maîtrise absolue des choses. Voici ce que j’emporte avec moi en guise de devoir : la résolution, au milieu de mes jours encombrés, de dégager un peu de place, de prendre un peu de temps. Pour rien.
Vacance du corps. Changer de rythme, d’habitudes et de paysage. Suivre un chemin sans savoir où il mène, ne plus se rappeler précisément quel jour on est. Accepter de ne pas savoir le matin à quoi sera employé l’après-midi, à rien, peut-être : à rêvasser à l’ombre d’un parasol, à somnoler dans une chambre tiède, à regarder la pluie qui ruisselle sur la vitre. Reprendre un café, laisser la soirée s’étirer sous les étoiles, tenter une partie de cartes. Chanter. Accepter que la vaisselle reste dans l’évier et que les enfants aillent au lit sans s’être brossé les dents. Se laisser rejoindre par tout ce qui nous cerne, par les sons, les saveurs, les couleurs. Ériger une cabane ou un château de sable. Regarder les collines. Regarder l’horizon. Regarder la mer.
Accueillir les souvenirs des mois écoulés
Vacance pour l’âme. Dans le calme retrouvé, accueillir les souvenirs des mois écoulés. Le cerveau a ceci d’extraordinaire qu’il n’exige en rien que nous nous enfermions pour ce faire dans une pièce solitaire avec un linge humide autour du front : non, il nous suffit de suspendre quelque temps le flot de nos activités ; de nous asseoir sous un arbre, de marcher le long de la mer ou de regarder danser les flammes.
C’est ainsi qu’on peut doucement laisser couler au fond de la mémoire les expériences vécues, les jolies heures et les mauvais jours, les succès et les regrets, les découvertes et les rencontres. Ils trouveront leur place sur les étagères de nos souvenirs, dans le labyrinthe de notre bibliothèque intérieure où quelque chose de nous saura les retrouver quand s’en fera sentir le besoin. Ne jamais s’arrêter, c’est se condamner à manquer de temps pour ce nécessaire ménage de l’âme.
Devoir de vacance : c’est encore ne pas oublier de dégager la place en nous pour l’inattendu. Un rire, une étreinte ; un ami de passage, un renard à l’orée d’un bois, le chant d’une cascade. Compter les étoiles. Ramasser des coquillages. Allumer un feu… Prendre le temps d’écouter, de recevoir et de nous émerveiller. Goûter les joies de l’inutile, de l’improductif, du non-quantifiable. Se découvrir vibrant de l’être tout autant que du faire. Accueillir en nous la part non maîtrisée, inattendue et irréductible du monde.
Je vous souhaite d’heureux devoirs de vacance.
Anne Le Maître
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