Roman - 360 pages
Editions Albin Michel - août 2022
Editions poche J'ai Lu - août 2023
Emma, entre Paris et Berlin, durant les mois pré et post confinement, garde cette soif de désir charnel, de plaisir inassouvi, de préoccupations quotidiennes pour se voir dans le regard de l'autre, pour vivre une vie sexuelle performante et sans cesse renouvelée. Mère d'un petit Isidore, elle vit de passion amoureuse en passion amoureuse, entre ses hommes Jon, Lenny, Victor, Cody...
Hormis d'être sûrement le roman contenant le plus de fois le mot b.te, il témoigne d'une réelle aisance pour la littérature, un talent notoire d'Emma Becker pour l'écriture comme nécessité, comme art.
Extrait :
"Ce clip me colle une gueule de bois, lorsque je pense à l'abîme qui sépare Gainsbourg de Jon, Jane Birkin de moi. Quand je repense à ce mois de mai dans Paris, sa main dans la mienne, les fraises boulottées sur le Champ-de-Mars, plus près de l'Anamour que jamais. Et je sais que ça ne sert à rien de comparer, qu'un clip c'est un film, et qu'un film implique un scénario, surtout quand on conduit comme un pied en pleine capitale - mais quand même, merde. Qu'on emballe les années 70 dans le même suaire, qu'on m'expédie ça au centre de la Terre, près des déchets nucléaires qui nous grignotent par la racine. On serait moins malheureux si on n'avait pas, dans le rétroviseur, des couleurs aussi vives et une telle illusion de bonheur."
Roman qu’on pourrait qualifier de féministe par le renversement qu’il fait d’une certaine vision de la virilité : ici le désir tout puissant d’Emma qu’il faut à tout prix assouvir. Les difficultés se font sentir quand, au delà du sexe, le sentiment amoureux n’est pas réciproque, notamment avec Vincent l’intellectuel. Avec lui, la romance est d’abord épistolaire.
Ecrit de manière plus libre, plus fluide, sans carcan chronologique, que pour La maison, elle se livre et semble avoir construit sa vie pour la livrer dans cette autofiction. Elle maîtrise en quelque sorte, ou souhaite le faire le plus possible, le scenario.
Extrait :
"J'éclate de bienveillance pour ce monde et mon prochain, ayant décidé de me laisser porter par l'existence, parce que après tout c'est ça mon terrain d'investigation, les mecs trop sûrs d'eux qui pensent qu'il suffit de retirer sa ceinture à grand bruit pour être un dominateur, ceux qui manquent de confiance en eux et essaient d'éteindre la vôtre pour que ça ne se voie pas, les mecs simples qu'on rencontre dans la rue et sur lesquels personne n'écrit jamais parce qu'au fond il n'y a rien à en dire, voilà, tel est mon boulot, que je trouve alors, chargée de coke et de whisky, absolument merveilleux : bâtir un monde à partir du néant d'où ils sortent en rampant, comme ils cachent les relents d'égout avec leur eau de Cologne pas chère et leurs costumes médiocres, à croire que je ressors grandie, plutôt que souillée de ma curiosité pour eau. Faire d'eux des personnages de livre, les rendre immortels en somme, tout ce qu'ils ont toujours désiré - peut-être pas comme ils se l'imaginaient."
Parfois un peu long, L'inconduite reste un roman d'autofiction courageux, qui livre avec liberté les errements quotidiens physiques et intellectuels d'une femme qui ne se résout pas à s'éteindre, se protéger, se museler. Sur son rapport aux hommes elle rapporte ses pensées tortueuses et ses expériences que l'amour peut venir troubler, et enrayer un peu le jeu et l'humour.