Mario Bava, 1963 (Italie, France)
Les trois courtes histoires d'épouvante proposées par Mario Bava me rappellent la série produite par Gilbert Adler, Les Contes de la crypte (1989-1996) que je regardais adolescent. Dans l'ouvrage Fantastique gothique italien*, coécrit avec Vincent Jourdan et richement illustré, Éric Escofier explique que le début des années 1960 est marquée par une vague de films à sketches qui ont peut-être eu pour influence Au cœur de la nuit. Sorti en 1945, ce film rassemblait cinq courts métrages d'Alberto Cavalcanti, Charles Crichton, Robert Hamer et Basil Dearden qui semblent avoir marqués à l'époque. Dans Les Trois Visages de la peur, les trois segments ne se valent pas. Mario Bava toutefois parvient à un sympathique crescendo dans l'horreur et la réalisation dans son ensemble, décors et photographie sublimes, fait la démonstration de tout un savoir-faire. Bava introduit son film avec un présentateur de choix, Boris Karloff, qui en un gros plan et sous un spot rouge est censé donner le premier frisson.
Le premier segment, Le Téléphone (avec Michèle Mercier), surprend pour laisser croire dès ses premiers lignes de dialogue à une très évidente source d'inspiration de Wes Craven pour la fabuleuse scène inaugurale de Scream (1996). La résolution cherche l'originalité mais la fausse piste et le twist final manquent de teneur.
Le deuxième segment, Les Wurdalaks, lui est supérieur. Inspiré de La Famille du Vourdalak d'Alexis K. Tolstoï (dont il est la toute première adaptation), il raconte l'histoire d'un gentilhomme égaré dans la campagne de nuit s'en allant chercher l'hospitalité auprès d'une famille dont le père (Boris Karloff, parfait) a été transformé en une sorte de vampire. Petit fils, belle fille, chacun des fils... tous finissent par étancher la soif du patriarche et plutôt que de fuir ce cauchemar, le gentilhomme tombe amoureux d'une des filles de la maison... Alternance de couleurs vives dans la douceur de la nuit, beauté des décors et des lumières (arrangées par Ubaldo Terzano), ruines gothiques, sous-bois lugubres... L'atmosphère est parfaite et ce conte macabre est une perle dans son écrin. Retenons encore de ce film une scène terrifiante et diablement efficace, quand l'enfant mordu par le grand-père et dont la mère n'a pas voulu qu'on lui transperce le cœur revient se plaindre du froid de la nuit.
La dernière histoire, intitulée La Goutte d'eau, apporte aussi sa dose d'effroi. Une infirmière doit se rendre une nuit d'orage dans la grande demeure d'une vieille femme qui vient de trépasser, ce que lui dit la domestique, après une séance de spiritisme. Or, l'infirmière ne résiste pas à l'idée d'arracher une bague sertie d'une énorme pierre du doigt de l'horrible dépouille. La maison est envahie par les chats, les portes grincent et un verre renversé laisse entendre un pénible goûte à goûte. De retour chez elle, l'infirmière entend les chats, le grincement et ce terrible goûte à goûte... À nouveau, dans ce court, la photographie est magnifique et la mort du plus bel effet.
Rapportons cette anecdote qui concerne la falsification opérée au générique. Il est en effet indiqué que les sketches des Trois Visages de la peur sont des adaptations de trois nouvelles, respectivement de " Tchekhov, Tolstoï et Maupassant ". Mais on ne trouve pas de telles histoires chez Tchekhov et Maupassant. Il semble en fait que Le Téléphone et La Goutte d'eau soient plutôt des récits trouvés ou remaniés par les scénaristes Marcello Fondato et Alberto Bevilacqua ainsi que par Mario Bava lui-même (Le Téléphone pourrait être à l'origine la nouvelle d'un certain F. G. Snyder, probable pseudonyme d'un auteur édité par la collection Il Giallo Mondadori -voir l'article sur le film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele pour la Cinémathèque française, 3 juillet 2019-).
Pour conclure, Mario Bava décide avec malice de faire réapparaître Karloff sous les traits du vourdalak qui face caméra souhaite que le spectateur rêve de lui. Puis après un travelling, le dernier plan révèle le plateau de tournage et les trucages... Donnant à chaque pic d'angoisse autant d'occasions d'agripper son fauteuil, le triptyque horrifique a dû figer une expression de trouille chez plus d'un spectateur. Mais pour ne pas laisser le public terrorisé, le final veut décrisper tout le monde... en tout cas il essaye.
Sur ce film et d'autres sur le genre, Éric Escofier et Vincent Jourdan nous en apprennent davantage dans l'ouvrage qu'ils ont consacré au Fantastique gothique italien, paru aux éd. Mono-Tone en 2023.