L'éditorial de Relatio-Europe par Daniel RIOT
« Comment peut-on être chinois » ? Maintenant on sait. On a vu. A la télé, ce qui nous permet de ne pas à avoir réinventer des Lettres chinoises, comme les « Persanes » de jadis qui nous montraient que l'étrange vu par nous chez l'étranger nous renvoie à l'étrange qui est en nous pour l'étranger....Même bien encadrées, d'une manière militaire mais sur un mode jovial, les images et les sons auront permis au monde de voir, comme écrit La Croix, que « les Chinois » n'étaient pas « inaccessibles », « froids » ou « distants ». « Les JO auront sans aucun doute contribué à rendre ce « peuple du milliard » plus proche de nous. Et ce n'est pas la moindre des victoires de ces Jeux. ». Tant mieux. Reste à approfondir la connaissance de cet « Autre nous-mêmes », selon la formule de Guillebaud et de ne pas se contenter d'impression et d'images...Si le sport a pu servir de stimulant, tant mieux. C'est le ping-pong déjà qui avaient dégelé les relations américano-chinoises : ce n'est pas en voulant ignorer un milliard d'hommes et de femmes qu'on établit un ordre mondial....
Une certitude : Le titre de numéro Un mondial des médailles d'or olympique (après le virtuelle Union européenne), que la Chine a décroché va rester...chinois longtemps L'élite chinoise émerge d'un réservoir de cinq millions d'athlètes plus motivés que jamais. Et les responsables chinois qui calculent modestement le nombre de médailles par tête d'habitant disent vouloir faire plus et mieux dans l'avenir.
Le sport, comme ciment du patriotisme, comme image de marque d'un dynamisme national, comme affirmation d'une puissance, comme levier de la croissance, les Chinois ont compris ce que cela voulait dire... Même si cela implique bien des sacrifices et si la surexpositionmédiatique mondiale a ses revers : une hypermédiatisation planétaire des vices et des défauts du régime. Un régime qui échappe aux classifications faites jusqu'à présent.
«Un seul monde, un seul rêve ! » Le slogan était beau. Il le reste.
Même si le monde est loin d'être uni pacifiquement pour le plus grand bien de l'Humanité et...des humains, leur rêve olympique s'est réalisé sans les cauchemars redoutés. La seule catastrophe chinoise fut sportive ; la blessure de leur idole. Pas grave...Caprice des « dieux du stade ». Des « dieux » par ailleurs généreux : de bonnes compétitions et des performances mondiales sidérantes. Dans l'histoire des JO, les Jeux de Pékin resteront comme des grands Jeux. Ombres comprises.
Dans les ombres, bien sûr, la « sécurité » à la chinoise...150 000 policiers mobilisés, sans compter les « invisibles » bien présents et les « forces » prêtes à intervenir au moindre signal, les 40 000 cyberpoliciers (les vrai murs aujourd'hui se construisent sur le Net), des gens délogés, déplacés, contrariés par milliers (millions, on ne sait pas), des restrictions et des sacrifices matériels pour tous les Chinois et pas seulement des Pékinois...
Notre ami Jean-Claude Kiefer le souligne bien dans les DNA de ce matin en « se demandant quel est le prix humain de ces jeux : des quartiers rasés, des habitants expropriés et jetés à la rue pour construire les édifices olympiques, une population mobilisée jour et nuit pour que tout se passe bien, des usines arrêtées afin d'éviter la pollution ... » : « En aucun cas, en raison de l'ampleur des moyens engagés et mis en oeuvre dans une discipline quasi militaire, de tels jeux auraient pu se dérouler dans un pays démocratique. En Chine, olympisme a rimé avec autoritarisme. »
La paranoïa sécuritaire et les réflexes autoritaires (totalitaires) auront d'ailleurs largement dépassé les frontières du quartier olympique et de la capitale : les régions autonomes du Tibet et du Xinjiang (musulman) seront restées sous contrôle militaire total, là encore avec des manifestations et des actes de répression au Tibet ou plusieurs attentats meurtriers au Xinjiang. Avec des bilans difficiles à fire comme le montre la surprenante controverse entre les affirmations du dalaï lama à Paris dans une ITW au Monde et ses propres services à propos de 110 morts...Ce qui n'est pas ou ne serait pas rien. Mais qui n'est pas avéré.
Reste l'essentiel. Au-delà du réveil de la Chine et de son affirmation, au-delà de ces dérapages, la Chine aura mené une véritable entreprise de communication et présenté au monde une image que beaucoup ne soupçonnaient pas. En remportant plusieurs victoires, d'abord politique.
La moisson de médailles d'or chinoises, les réactions extrêmement favorables aux cérémonies et à l'organisation, les bons résultats obtenus en matière de protection de l'environnement, la quantité d'infrastructures qui vont rester en place après le Jeux, le rayonnement diplomatique (avec les visites de plus hauts responsables d'une centaine de pays), les certificats de satisfaction délivrés par la CIO et...les sponsors ont permis aux dirigeants d'offrir à leur peuple un sentiment de confiance retrouvée, de fierté nationale renforcée, ce qui était l'un des objectifs annoncés.
Le nationalisme débordant de ces dernières années s'est retrouvé canalisé dans la supériorité sportive. Un bon transfert. Et une bonne opération pour un parti qui, ne l'oublions pas, n'est uni qu'en apparence : la vie politique interne est secouée par des luttes de courants, des affrontements de personnes et de clans, des antagonismes d'idéologie et d'opinions. La marmite bouillonne sous le couvercle...
Cette victoire politique est-elle durable ? A voir... Les lendemains de fête sont toujours plus ou moins difficiles. Les retours sur investissements ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Et le retour à la quotidienneté peut faire surgir bien des mécontentements artificiellement rentrés.
Avec un coût total de près de 40 milliards d'euros, ces JO resteront longtemps comme les plus chers de tous les temps. Cher pour un pays en passe de devenir la troisième économie mondiale, mais qui reste très pauvre en moyenne en PIB par habitant. Cher pour un pays immense qui a des besoins d'investissements dans d'autres secteurs : santé, éducation, logement....Les JO ne font pas oublier que 2008 est aussi l'année où un séisme a ravagé le Sichuan et coûté la vie à près de 80 000 personnes.
La vraie inconnue pour les dirigeants chinois, c'est l'impact de ces Jeux à moyen et à long terme sur... les désirs des Chinois. Le pari de concilier hyper-capitalisme et étatisme autoritaire, harmonie sociale et militarisation sociétale, liberté d'entreprendre mais non de s'exprimer, puissance collective mais écrasement de l'individu n'est pas évident.
Les Européens aussi, évidemment, doivent tirer quelques leçons de ces JO, de ce qu'ils impliquent et de ce qu'ils peuvent modifier. Ils doivent surtout apprendre à mieux connaître la psychologie des Chinois. Nous disposons de bons sinologues, mais les politiques ne consacrent pas suffisamment de temps à questionner leurs propres opinions, prises de position, et préjugés. Nous l'avons souligné ici avant l'ouverture des Jeux : vis-à-vis de Pékin, il vaut mieux la franchise et la cohérence d'Angela Merkel que les comportements velléitaires à géométrie variable dont les autorités française ont fait montre.
En cet été 2008, Sarkozy a été meilleur face à Moscou et à Washington que vis-à-vis de Pékin. Personne ne peut être hyper-bon partout et en tout, surtout quand on se veut hyperactif et omniprésent
Qu'il remonte dans les sondages en ces circonstances, alors que la situation économique et sociale intérieure se dégrade encore, confirme bien que les Français accordent plus d'importance à la « politique étrangère » que les politiciens le pensent généralement. L'avenir est de moins en moins à ce que Tomi Ungerer appelle « l'escargotisme »... Aux politiques , aux médias et aux enseignants d'en tenir compte. Sinon ce sont d'autres Lettres persanes qu'il faudra écrire : « Comment peut-on être Français » (ou européens)
Daniel RIOT
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