Le suspense a duré pendant des jours. Mercredi ? Avant mercredi ? Après mercredi ? Avant samedi ? L’équipe de campagne du candidat démocrate Barack Obama nous a tenus en haleine pendant des jours sur le choix de son colistier pour l’élection présidentielle de novembre. On a même eu droit à : « ça y est, j’ai fait mon choix, mais je ne le vous dirai pas ». Les supporters du candidat qui s’étaient dûment enregistrés sur le site de campagne d’Obama (c’est toujours cela de pris pour le carnet d’adresses quand il faudra encore faire appel aux dons) devaient être les premiers informés par un message envoyé sur leur boîte email, en même temps que les médias. Avec une telle pression montant et tandis que le candidat républicain John McCain patinait sur le nombre de propriétés qu’il détient avec son épouse Cindy (ce n’est pas si facile d’être très riche, on n’arrive même plus à se souvenir si on a quatre, sept ou huit résidences), les spéculations sont reparties sur le choix d’Obama. Le journaliste vedette de la chaîne ABC News, George Stephanopoulos, se demandait si avec un suspense durant si longtemps, il ne valait mieux pas pour Obama annoncer une grosse surprise pour éviter une déception en cas de colistier pas très excitant. Les noms d’Hillary Clinton, vaincue par Obama lors des primaires démocrates, et d'Al Gore, l’ex-vice président battu à la présidentielle de 2000 par George W. Bush et devenu entretemps prix Nobel de la paix, étaient évoqués.
Et puis tout cela a fait pschitt !!, comme dirait l’ex-président français Jacques Chirac.
Plusieurs médias américains ont réussi à connaître le nom de l’heureux élu avant les supporters. La campagne Obama a dû batailler au milieu de la nuit de vendredi à samedi pour envoyer à des millions d'entre eux le message alors que le nom du colistier apparaissait en Une des sites d’information.
Et puis l’heureux élu est le sénateur du Delaware Joseph Biden, 65 ans, président de la Commission des affaires étrangères au Sénat. C’est un choix très raisonnable de la part d’Obama (baillement) mais on est loin de la Messie attitude dont il s’est servi pour battre Hillary Clinton. Alors qu’Obama n’a cessé de marteler le thème du changement lors des primaires, signalant son mépris pour les habitués de la politique washingtonienne tels Hillary Clinton, Joseph Biden arpente les couloirs du Capitol à Washington depuis… 36 ans. Il a été élu sénateur à l'âge de 29 ans quand Obama avait 11 ans.
Mais alors que les démocrates profitent de la vague de mécontentement anti-Bush et anti-républicain aux Etats-Unis, Obama ne décolle pas dans les sondages et reste au coude à coude avec McCain, qui propose pourtant en gros la même politique que Bush. Obama a donc choisi d’ajouter un peu d’expérience à son ticket, au détriment de la posture morale adoptée lors des primaires.
L’un des arguments avancés par l’entourage d’Obama contre un ticket Obama-Clinton était qu’il ne voulait pas entâcher son message de renouvellement en choisissant quelqu’un de trop représentatif de la politique washingtonienne. Et bien finalement, c’est ce qu’il a fait en choisissant Biden. Par ailleurs, Obama n’a cessé de mettre en avant le fait qu'il avait été contre la guerre en Irak dès 2002, à l'inverse de Clinton qui avait voté en faveur de l’autorisation donnée par le Congrès à Bush d’engager la guerre contre Saddam Hussein. Et bien Biden a voté à l’époque comme Hillary Clinton. Faut-il valoriser l’expérience en politique ? Ce qui était faux, selon la campagne Obama, en janvier dans les températures glaciales de l’Iowa (un jeune politicien de l’Illinois a eu raison sur l’Irak contre beaucoup de politiciens de Washington) est devenu vrai dans la chaleur de l’été à Denver (où se déroulera la Convention démocrate).
Finalement, la meilleure leçon de cynisme en politique est apportée par l’éditorialiste du New York Times, Frank Rich, qui semble avoir prêté sa plume aux spécialistes en communication d’Obama pour écrire ses éditoriaux. "Il est temps pour Barack Obama de donner le coup de grâce au 'Changement auquel nous pouvons croire' (son slogan pendant les primaires)... Alors que la course présidentielle suscite enfin la pleine attention du pays, la stratégie qui a permis de gagner contre Hillary Clinton doit être réinitialisée pour battre John McCain. 'Le changement auquel nous pouvoir croire' a été brilliamment calculée pour une empoignade familiale entre démocrates où chaque candidat promettait pratiquement le même changement par rapport à George Bush. Elle a fait d'Obama le seul candidat dont l'histoire personnelle, la crédibilité et le talent politique ont permis d'établir un lien entre la promesse de changement et le renouvellement générationnel dans toutes ses manifestations culturelles (et raciale). McCain devrait être une cible bien plus facile si Obama réinitialise son jeu."
Vu comme cela, la politique, c’est très simple.