Dit Oskar Freysinger dans son avant-propos.
Son personnage, Pierrot, n'est pas gâté par la nature: il est sourd-muet de naissance, autiste, en passe de devenir aveugle. Bref il vit dans un bocal, mais il parvient à faire bouger le bocal, ce dont aucun poisson rouge n'a jamais été capable de faire. Il serait plus juste de dire que le bocal est en lui, que son corps le protège...
À l'occasion d'un accident de la route qu'il a causé en conduisant sa voiture, Pierrot réalise qu'il perd la vue. Cette rupture dans sa vie de confiné portable remet en cause sa volonté de conduire sa vie lui-même, à sa guise. Or, pour lui, la liberté s'est de tout temps confondue au mouvement. Il prendra donc les transports publics.
Dans ce récit, son propos est de démontrer qu'on peut aller de l'avant même quand on n'est plus en mesure de distinguer ce qui est derrière de ce qui est devant. Pour l'écrire, un écrivain s'est proposé. Il l'appelle son porte-canne : il lui servira de canne blanche dans la jungle des lettres et le révélera peut-être à lui-même
Son remède contre la déprime? Voyager, voir, plutôt entrevoir, ce qu'il ne verra bientôt plus, le stocker. Il a un sens, infaillible, qui compense déjà les deux qui lui manquent: il a une mémoire phénoménale, si bien qu'il n'oublie jamais un lieu où il s'est rendu, se prépare une caverne intérieure qu'il tapissera de souvenirs.
Le lecteur est prévenu. Il va parcourir le monde, en accomplissant des cercles de plus en plus larges autour de la Suisse, avec toutefois deux bases arrière: sa chambre chez ses parents et son studio à l'institut des , où des psychologues tentent de le socialiser, ne comprenant visiblement pas ce qu'est l'autisme...
Parcourant le monde, seul ou en compagnie d'une seule personne, il applique son principe du voyageur et chasseur-cueilleur d'images et d'impressions pour tapisser les galeries du labyrinthe de sa caverne, principe qui n'est pas remis en question par les difficultés qu'il rencontre, dues à son aversion innée pour le collectif:
La liberté ne se taille pas dans le marbre, elle ne se voit pas et ne se communique pas, c'est le mouvement de la vie, l'essence de l'être, le voyage sous toutes ses formes, pour peu qu'il ne soit pas collectif. À mon sens, le voyage organisé en groupe ne représente rien d'autre que la continuation de la prison par d'autres moyens, parce que la foule est un encombrement et qu'il n'y a pas d'agence ou de guide pour la liberté.Quand la pandémie de Covid 19 l'empêchera de voyager, alors que lui voyage partout dans le monde , il ne déprimera pas, car il aura sa caverne et sa patience, son univers qu'il fait vivre pour qu'il le fasse vivre. Et, grâce au cannage, il tressera des trames dans la nuit, ce en complément du réseau implanté dans sa mémoire:
En moi et autour de moi tout est réseau, tout est lié, tout est trame.Francis Richard
L'Oreille aveugle, Oskar Freysinger, 130 pages (168 pages avec le livre au verso), Selena Éditions
NB
Le volume comprend deux livres: L'Oreille aveugle et Le Nez dans le soleil, paru initialement en 2009.
Livres précédemment chroniqués:
L'évasion de CB Xenia (2008), publié sous le pseudonyme de Janus
Le nez dans le soleil Editions de la Matze (2009)
Canines Xenia (2010), publié sous le pseudonyme de Janus
Garce de vie Editions Attinger (2012)
De la frontière Xenia (2013)
Le remède suisse - Antigone chez les Helvètes Xenia (2016)
Animalia - Une cacatopie Selena Éditions (2024)
Publication commune avec LesObservateurs.ch.