L’Homme d’Argile (DVD)

Ce film est une véritable curiosité. Je dois avouer que sa découverte m'a vraiment porté dans un univers assez fascinant, poétique et en même temps touchant. Retour sur le DVD de L'Homme d'Argile, une sortie éditée par Blaq Out.

Raphaël n'a qu'un œil. Il est le gardien d'un manoir dans lequel plus personne ne vit. À presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon situe ́ a ̀ l'entrée du domaine. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d'orage, Garance, l'héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil.

L'Homme d'Argile, un film réalisé par Anaïs Tellenne, se distingue par son originalité et sa profondeur émotionnelle. Ce long métrage nous plonge dans un univers où le réalisme côtoie l'onirisme, et où l'humour se mêle à une tendresse subtilement ironique. La réalisatrice, par son approche unique, réussit à captiver l'audience tout en la déroutant, offrant une expérience cinématographique rare et précieuse. Dès les premières minutes, le film impose son rythme singulier. Loin des productions trépidantes habituelles, L'Homme d'Argile prend son temps, s'attarde sur des scènes étranges qui flirtent avec l'absurde et l'onirisme. Ce mélange audacieux rappelle le travail de grands réalisateurs comme Maurice Pialat et Agnès Varda. Les personnages, hauts en couleur, sont incarnés avec brio par un casting talentueux.

Emmanuelle Devos, dans le rôle de Garance, une artiste contemporaine aux comportements énigmatiques et Raphaël Thiéry, qui joue un prolétaire massif au physique peu avantageux mais à l'âme noble, livrent des performances mémorables. Raphaël, le protagoniste, est une figure fascinante. Sa laideur apparente contraste avec la douceur de son regard et la profondeur de ses sentiments. C'est un Quasimodo moderne, un homme de la terre, de l'argile, qui trouve en Garance celle qui va l'instruire. La relation entre ces deux personnages est au cœur du film. Elle évolue lentement, comme une flamme qui prend son temps pour s'embraser, créant une tension palpable qui tient le spectateur en haleine. Anaïs Tellenne, pour son premier long métrage, réussit à poser un regard unique sur des thèmes universels comme l'amour, la création et l'acceptation de la différence. Cependant, malgré cette vision originale, le film souffre de quelques maladresses.

Par exemple, certaines scènes qui auraient dû être chargées d'émotion perdent de leur impact à cause de choix musicaux inappropriés. La tension et l'émotion sont parfois annihilées par des musiques tonitruantes, ce qui est dommage car l'absence de musique, dans certaines séquences, aurait mieux servi le propos du film. L'Homme d'Argile, malgré ses qualités indéniables, peine parfois à maintenir l'attention du spectateur sur la longueur. La narration, bien que poétique et immersive, manque parfois de densité. On aurait souhaité que la réalisatrice libère davantage sa créativité, qu'elle ose plus de folie pour emmener le film vers des rivages encore plus surprenants. L'originalité est présente, mais elle semble contenue, bridée par une volonté de rester dans un cadre acceptable.

Si le film parvient à toucher, c'est aussi grâce à la performance de ses acteurs. Emmanuelle Devos et Raphaël Thiéry apportent une profondeur et une humanité à leurs personnages qui rendent leurs interactions poignantes. Mention spéciale à Marie-Christine Orry, qui interprète Samia, la postière déjantée, et apporte une touche de fantaisie et d'humour au film. La mise en scène de Tellenne se distingue également par son esthétique visuelle. Le manoir, les visages, les corps, tout est magnifié par une réalisation qui joue sur le simplisme de façade pour mieux révéler la beauté cachée des choses. Le format du film, inhabituel pour le cinéma, contribue à cette impression de tableau vivant, rappelant le travail photographique.

En conclusion, L'Homme d'Argile est un film qui ne laisse pas indifférent. Il propose une vision décalée et poétique du monde, servie par des performances d'acteurs remarquables et une réalisation audacieuse. Certes, il n'est pas exempt de défauts, mais ces imperfections font aussi partie de son charme. Anaïs Tellenne signe ici un premier long métrage prometteur, qui donne envie de suivre de près l'évolution de cette réalisatrice. L'Homme d'Argile est une œuvre qui mérite d'être découverte, pour son originalité, sa poésie et la tendresse ironique qui s'en dégage.

J'ai toujours aimé les DVD qui fourmillent de bonus car c'est souvent l'occasion de voir le film que l'on vient de voir (ou revoir) sous un angle différent. Pour le coup, le DVD de L'Homme d'Argile est plus que généreux. L'un des plus fascinant reste l' Enregistrement de la musique originale par l'Orchestre Symphonique de Budapest. D'une durée de 15 minutes, ce bonus nous plonge dans la construction musicale du film et la musique a toute son importance ici. Elle marque certains moments avec une vraie vitalité. Cette exploration permet de prolonger le plaisir sonore et de découvrir comment la musique du film a été couchée sur le film.

La réalisatrice nous invite quant à elle à un Commentaire de séquence de 6 minutes qui permet là aussi d'en découvrir un peu plus sur son film et sa démarche. Le film est tellement singulier qu'elle nous donne un peu plus de sa vision du récit et des images qu'elle lui appose. Et quand nous avons droit à des court métrages dans les bonus, alors je suis d'autant plus ravis. C'est souvent l'occasion de prolonger le travail du réalisateur ou ici en l'occurence la réalisatrice. Le Mal Bleu, un court métrage co-réalisé par Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma, propose une exploration profonde et poétique de la complexité des relations humaines. Marie-Pierre (Sylvie Le Clanche), prise dans les rets de sa propre jalousie, enserre son compagnon Jean-Louis (Raphaël Thiéry) dans du cellophane. Cette scène, loin d'être une simple manifestation d'horreur fétichiste, symbolise une relation où le contrôle et la possession prennent le dessus sur l'amour.

Le film, tourné dans un environnement rural, près des forêts du Lot-et-Garonne, dépeint fidèlement la vie des habitants des régions périphériques. Les frères Boukherma apportent une vision précise des réalités sociales et géographiques de ces territoires. Les séquences dans une palombière, cette hutte camouflée typique de la chasse, créent un parallèle frappant entre les tunnels sombres de cette installation et les défis émotionnels d'une relation amoureuse. Le Mal Bleu se distingue par une photographie aux teintes bleutées, évoquant le mal-être et le "blues" des jours qui passent. La jalousie maladive de Marie-Pierre est le reflet de l'insécurité et de la peur de perdre l'autre, dans un cadre non bourgeois mais profondément rural. La mise en scène, marquée par des envolées fantasmatiques mais avec une sensibilité propre au milieu rural.

En fin de compte, Le Mal Bleu nous rappelle que l'amour, même fragile et malléable comme de l'argile, peut être façonné de multiples façons. C'est une œuvre qui souligne la beauté de l'amour, malgré ses turbulences, et invite à une réflexion profonde sur la nature des relations humaines.

Caractéristiques techniques

Durée : 1H34

Langues : Français 2.0, 5.1 et audiodescription - Sous-titres : Pour sourds et malentendants

Suppléments : Le Mal Bleu, court métrage d'Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma (15 min) ; Enregistrement de la musique originale par l'Orchestre Symphonique de Budapest (15 min) ; Commentaire de séquence par la réalisatrice (6 min)

Disponible en DVD au prix public conseillé de 19,99 € TTC

Cette sortie est éditée par BLAQ OUT