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Le texte-type césaréen du Nouveau Testament : “Jésus-Barabbas” ou Jésus-Christ ?

Par Monarchomaque
texte-type césaréen Nouveau Testament “Jésus-Barabbas” Jésus-Christ

Folio 67 verso du Codex Coridethi (Θ038) copié vers l’an 850, conservé au Centre national des manuscrits à Tbilissi en Géorgie (Caucase), portant le texte de Mt 27:16-23

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Folio 67 verso du Codex Coridethi (Θ038) copié vers l’an 850, conservé au Centre national des manuscrits à Tbilissi en Géorgie (Caucase), portant le texte de Mt 27:16-23

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Folio 67 verso du Codex Coridethi (Θ038) copié vers l’an 850, conservé au Centre national des manuscrits à Tbilissi en Géorgie, portant le texte de Mt 27:16-23  ✤  Cet oncial est l’un des principaux représentants du texte-type césaréen du N.T.

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En consultant le chapitre 27 de l’Évangile selon Matthieu dans la Nouvelle Bible Segond (NBS, 2002), nous pouvons lire ceci aux versets 16-17 :

« Ils avaient alors un prisonnier fameux, appelé Jésus-Barabbas. 17 Comme ils étaient rassemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous relâche, Jésus-Barabbas, ou Jésus qu’on appelle le Christ ? »

Vous remarquez sans doute le nom inhabituel donné à l’autre prisonnier que le Préfet & Procurateur de Judée, Ponce Pilate, propose de relâcher : « Jésus-Barabbas », plutôt que simplement « Barabbas ». Sur le plan de l’anthroponymie, il n’y a ici rien de suspect : Jésus – une contraction de Josué – était un nom assez répandu parmi les populations juives du bassin méditerranéen au Ier siècle, comme en témoignent la présence du mage « Elymas Bar-Jésus » (littéralement « Elymas fils de Jésus » en araméen) à Paphos sur l’île de Chypre (Actes 13:6-8) ainsi que de l’évangéliste « Jésus appelé Justus » dans l’Église locale chrétienne de Rome (Colossiens 4:11).

Là où le texte de Matthieu 27:16-17 dans la NBS est inhabituel, c’est parce que la plupart des traductions françaises de la Bible – tant protestantes que catholiques – ont ici « Barabbas » tout court, pas « Jésus-Barabbas » comme dans la NBS, la Bible en français courant (BFC, 1997), la Nouvelle français courant (NFC, 2019) ou la Parole de Vie (PDV, 2017).

Qu’est-ce qui explique cette curiosité ? La Bible du Semeur 2015 fournit un indice en note infrapaginale : « certains manuscrits ont Jésus-Barabbas ». Il s’agit donc d’une différence dans le texte-source qui est traduit, et non d’une différence dans la traduction elle-même. L’explication de Philip Comfort dans son Commentary on the Manuscripts and Text of the New Testament est plus substantielle : Cette variante textuelle (Jésus-Barrabas) ne se trouve que dans des manuscrits catégorisés parmi le texte-type césaréen du N.T (Kregel Academic, 2015, p. 173-174). C’est même la variante la mieux connue de ce texte-type, mais certainement pas la seule, comme nous le verrons ci-après.

En langue anglaise, l’une des multiples versions ayant également choisi de mettre « Jésus-Barabbas » en Matthieu 27:16-17 est la New English Translation (NET, 2019) — les principales autres sont la NAB (1970), la NEB (aussi 1970), la REB (1989), la NRSV (1989/2021) et surtout la fameuse NIV (1978/2011). Dans la Bible d’étude NET (dite Full Notes Edition), Daniel Wallace argumente que malgré le fait que les manuscrits attestant la variante « Jésus-Barabbas » ne soient pas les meilleurs (en termes de qualité et d’ancienneté) et soient relativement peu nombreux, il serait selon lui plus probable que des copistes chrétiens aient intentionnellement enlevé le mot « Jésus » dans le nom du malfaiteur Barabbas (par motif de piété dévote) qu’ils ne l’y aient intentionnellement ajouté puisqu’ils n’auraient eu aucun incitatif théologique pouvant motiver un tel ajout (NET-FNE, Biblical Studies Press, 2019, p. 1848).

Alors qu’en est-il réellement ? L’apôtre Matthieu a-t-il écrit, sous l’inspiration du Saint-Esprit, « Barabbas » ou « Jésus-Barabbas » avant « Jésus qu’on appelle le Christ » ?!

Dans un article publié récemment, le spécialiste de critique textuelle Dirk Jonkind (un protestant néerlandais) résout cette question. Tout d’abord, il observe qu’aucun manuscrit grec existant aujourd’hui portant la variante « Jésus-Barabbas » n’est antérieur au IXème siècle (oncial Θ038) ou au Xème siècle (oncial S028), ce qui est très tardif comparativement aux onciaux 01 et B02 (copiés vers 330), ainsi qu’aux onciaux A02, D05 et W032 (tous copiés vers 400), qui portent simplement « Jésus ». Ensuite, Jonkind épluche les extraits de commentaires exégétiques copiés en gloses marginales dans certains manuscrits bibliques (chaînes de scholia formant des catenae) évoquant cette variante (cela concerne ici une vingtaine de mss au total), et constate qu’elle existait tout de même dans certaines branches isolées de la littérature patristique remontant jusqu’au IIIème siècle. Pour expliquer cet étrange état de fait, Jonkind poursuit en reprenant les travaux d’un savant évangélique britannique du XIXème siècle, Samuel Prideaux Tregelles (1813-1875).

Il est plus aisé de comprendre l’origine de la variante « Jésus-Barabbas » en consultant Tregelles directement. Dans son Account of the Printed Text of the Greek New Testament (1854), cet érudit explique que cette petite corruption textuelle fut vraisemblablement causée par le fait que : {1} Dans les manuscrits primitifs du N.T. (comme dans l’ensemble des documents gréco-romains de la même époque), les textes étaient écrits sans espace entre les mots et sans ponctuation (pratique appelée scriptio continua). {2} Certains mots désignant des personnes divines ou importantes étaient écrits de manière abrégée et stylisée. Ces abréviations textuelles sont appelées au pluriel les nomina sacra (« noms sacrés » en latin ; au singulier nomen sacrum). {3} En Antiquité, la combinaison de la scriptio continua et de l’usage répété du nomen sacrum de « Jésus » (sigle ΙΣ ou ΙΥ avec une barre horizontale au-dessus) faisait en sorte que c’était très facile pour un scribe de générer la variante « Jésus-Barabbas » accidentellement, par dittographie. Ainsi s’exprime Tregelles (à la p. 195 de l’ouvrage susmentionné) :

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Renseignements sur le texte-type césaréen du N.T.

Le texte-type césaréen est clairement le texte-type le moins bien connu parmi les quatre textes-types du Nouveau Testament. À ma connaissance, c’est même le seul d’entre-eux qui ne dispose aujourd’hui d’aucun « partisan » dans l’arène tumultueuse des controverses bibliologiques. Pourtant, comme l’illustre le cas de « Jésus-Barabbas » étudié ci-dessus, des variantes textuelles d’origine césaréenne peuvent figurer dans le corps du texte d’une multitude de traductions néotestamentaires françaises et anglaises – protestantes, catholiques ou œcuméniques – produites ces 50+ dernières années. Il est donc pertinent de se documenter sur cette tradition manuscrite particulière. À cette fin, le document ci-dessous réunit des renseignements généraux sur ce type de texte puis identifie une douzaine de variantes distinctives césaréennes dans les Évangiles selon Matthieu et selon Marc.

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