L'eau de la Seine

Par Afust

Antoine-Auguste Parmentier nous est resté par la patate (encore qu'à son époque, la patate soit ce que nous appelons patate douce).
Le hachis qui porte son nom en témoigne, bien que sa création soit postérieure.
Même si Parmentier n'est pas à l'origine de l'introduction et l'utilisation de la pomme de terre, l'associer à la pomme de terre est une évidence attestée par diverses anecdotes en forme d'images d'Epinal, et par quelques ouvrages recherchés des bibliophiles.
Mais si le lien entre Parmentier et la patate n'est pas usurpé, il n'en reste pas moins réducteur.
Car ce pharmacien s’est aussi intéressé aux farines, qu'elles soient de blé, de patate ou même de châtaigne.
Parmentier est en effet l'auteur du "Traité de la châtaigne" (1780, à Bastia et à Paris)
dans lequel il s'intéresse en particulier à son séchage, à la farine de châtaigne et son mélange avec celle de différents grains, ainsi qu'à la recette Corse du pain de châtaigne.
Il lutte contre la famine, ce fléau du bon vieux temps.
Plus attendu sur ce blog essentiellement vinique, Parmentier s'intéresse aussi aux raisins, pour leur sucre du fait de la pénurie de sucre de canne, et au vinaigre.
Son article dans le "cours complet d’agriculture" de l’Abbé Rozier, paru en 1800, en témoigne.


Mais il a aussi travaillé sur d’autres sujets, plus inattendus, et parfois d’une actualité brûlante : je pense à la qualité des eaux de la Seine dont on nous rebat les oreilles depuis un moment.


Sa "Dissertation sur la nature des eaux de la Seine" est publiée en 1787, donc sans lien avec les Jeux Olympiques de 2024 :
"Il y a douze ans que cette dissertation parut dans le Journal de physique (mois de février 1775). Depuis cette époque, l'eau étant devenue un objet de l'agiotage de différents partis ou joueurs, et chacun m'ayant fait tenir un langage conforme à ses vues, j'ai cru ne pouvoir me dispenser de tirer mon mémoire du recueil intéressant où il se trouve, pour le soumettre à un examen général"
Je suis, évidemment, allé y chercher quelques échos aux préoccupations du moment.
Florilège :
"Dans le nombre des reproches faits à l'Eau dont il s'agit, un des plus graves, sans doute & des plus connus, c'est qu'elle donne la diarrhée aux personnes qui en font usage dans le commencement de leur séjour à Paris : chacun, selon son intérêt, s'est efforcé de faire valoir cette inculpation vraie ou fausse ; ceux qui cherchaient à trouver sa pureté en défaut n'ont pas manqué de faire regarder un pareil effet comme la preuve la plus complète de son insalubrité."
Mais, et c'est un lien heureux avec mes habituelles préoccupations viniques :
"Sans vouloir m'arrêter à examiner si le reproche allégué contre l'Eau de la Seine a quelque fondement, je dirai, avec M. Macquart, auteur du "Manuel sur les propriétés de l'Eau", ouvrage estimé, que ce dérangement dans l'économie animale est commun à presque tous les gens de province qui, habitués chez eux à boire plus de vin que d'eau, boivent à Paris plus d'eau que de vin."
En vertu de quoi je me réjouis d'être redevenu un provincial, dès 1992.
D'autant plus que depuis peu je suis à nouveau quasiment toulousain.
Or :
"le Parisien transporté à Toulouse, par exemple, pourrait faire le même reproche aux Eaux de la Garonne."
En outre, nous dit Parmentier :
"D'ailleurs cette espèce de relâchement n'est jamais ni long ni dangereux : s'il incommode, on en est quitte pour boire un peu plus de vin que d'eau, afin de se familiariser insensiblement avec celle-ci."
Les époques changent mais les préoccupations restent les mêmes (encore qu'au 18ème siècle il ne puisse s'agir ni de frigos ni de vélib) :
"Mais cet amas de corps si variés qu'on jette dans la rivière, ou qu'une pente déterminée y conduit, parait devoir souiller la pureté de l'Eau de la Seine, qu'elle aurait peut-être, disent ses adversaires, sans cette affluence d'hétérogénéités. N'en serait-il point des matières amenées de toute part à la rivière, comme de ces vapeurs acides, corrosives et vénéneuses, résultantes des ateliers en tous genres, mis en activité dans la capitale ?"
Quant aux rats (pardon, aux surmulots) :
"Supposons un instant qu'un animal, mort depuis longtemps, soit jeté à la rivière, & que l'on puise de l'Eau à une très petite distance du  lieu où il est tombé, comme de trois à quatre pouces ; eh bien, il est certain qu'elle n'en sera pas plus malsaine, par la raison que l'Eau qui y aborde ne fait que lêcher, pour ainsi dire, la masse putréfiée, à cause de son passage rapide & de son renouvellement continuel ; elle ne peut en retirer que des arômes déjà décomposés, & qui, par conséquent, n'ont rien des produits de la putréfaction."
Reste l'éternelle question : faut-il, ou pas, se fier aux apparences ?
"J'observerai cependant que cet état impur de l'Eau de la Seine, quoique désagréable à l'oeil, est préférable à la transparence de certaines Eaux qui, pour la plupart, cachent sous cet extérieur séduisant plusieurs matières salines à base terreuse qui y sont dans une parfaite dissolution."
Parmentier finit par conclure :
"En conclusion :
.../...
2°. Que moyennant certaines précautions simples & faciles à être employées par tous les citoyens, elle est toujurs assez claire, assez limpide, pour ne jamais produire de pesanteur à l'estomac, ni aucun effet contraire à la santé ;
3°. Que toutes les substances jetées à la rivière, ou qui y sont entraînées par les issues d'une grande ville, sont bientôt noyées, décomposées, détruites dans une masse énorme de fluide renouvellé sans cesse, & agité par un courant très rapide ;
.../...
"
Puis, à la toute fin de ce joli petit livre, l'Auteur se risque à envisager l'avenir :
"Au reste, l'opinion sur la salubrité constante de l'Eau de la Seine a trop de partisans aujourd'hui pour craindre qu'à l'avenir on puisse l'attaquer ou la combattre avec quelque succès ; d'ailleurs, il n'est guère possible que le plus parfait des aliments, comme la plus excellente des boissons, réunisse tous les suffrages.".

Il ne me reste plus qu'à clore ce billet avec l'allegro de "La Seine en fête" ("La Sena festeggiante") qu'Antonio Vivaldi a dédiée au mariage de Louis XV (1725).