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§ Le bon heurt est dans le pré §

Publié le 20 août 2008 par Stabbquadd
Il y a du bruit, beaucoup de bruit. Et des bousculades, partout autour. Patty ouvre les yeux lentement, sa tête est douloureuse. Un régiment de jambes paniquées défile devant son regard. Elle est allongée par terre. La soirée d'hier ne lui a laissé qu'une langue pâteuse et une tête deux fois trop grande. Quelle fête c'était. Et quel calvaire c'est désormais. D'autant plus que l'ambiance est agitée, tout le monde court dans tous les sens, c'est à n'y rien comprendre. D'habitude, les lendemains de fête sont bien moins enthousiastes. Patty cherche sa meilleure amie et la découvre debout un peu plus loin. Le temps d'avoir l'esprit plus clair, et elle se lève comme une fleur, mais du genre de celles qui prennent appui sur les canapés derrière elles. Enfin, elle parvient à rejoindre sa camarade de beuverie et l'interroge. Des végétaux auraient condamné toutes les issues sauf la porte d'entrée ? En voilà une idée, qui donc s'est amusé à préparer la blague cette fois-ci ? Ca doit être un nouveau jeu à la mode chez les étudiants. Pourtant, l'heure ne semble pas être à la rigolade. Deux personnes ont disparu pendant la nuit, et une autre dans la matinée. Et pour l'instant, tout le monde est attroupé devant la porte d'entrée, à regarder le fils des propriétaires assurer qu'il n'y est pour rien.
Patty est un peu dans le coton et ne suit que vaguement le débat qui s'en suit. Elle observe l'extérieur. Devant la maison, il y a un long couloir végétal, comme s'il s'agissait d'un labyrinthe. Au bout, celui-ci s'ouvre sur ses deux parois avant de rentrer dans un mur. Impossible d'en voir plus, mais à première vue, ça a plutôt l'air amusant. Patty jette un oeil à l'intérieur de la maison. En dehors des corps comateux et autres ruines humaines, une énorme masse végétale semble peser sur la baie vitrée du salon. Cette issue est effectivement condamnée, et il en va peut-être de même des fenêtres. Mais Patty n'a pas le temps d'aller voir. En effet, le jeune homme, accusé de tous les maux puisqu'il s'agit de sa propre maison, propose d'aller voir par lui même où mène cet étrange couloir. Tout le monde semble accepter cette proposition comme un aveu d'impuissance et une preuve de non responsabilité. Arrivé au bout, on voit l'étudiant jeter un oeil vers le couloir de droite, puis s'avancer un peu pour faire de même dans celui de gauche, placé un peu plus loin. Mais avant qu'il y soit parvenu, le sol semble se dérober sous ses pieds. Et dans un cri, il disparait.
Les réactions dans la foule se montrent très hétérogènes. Il y a ceux qui pensent encore à une nouvelle farce, ceux qui trouvent quand même cela bizarre, et celles, des femmes principalement, qui frôlent l'hystérie. Patty, elle, s'en fout. Elle n'est même pas encore bien réveillée et certainement pas en état de conduire, alors peu importe de quoi il s'agit, il lui faudra attendre avant de partir. Un peu de distraction n'est pas de refus. Une fille, visiblement la petite amie du garçon avalé par le sol, s'énerve. Elle n'était au courant de rien, et s'inquiète pour son chéri. Dépitée par les réactions des sceptiques, elle décide d'aller voir par elle même de quoi il s'agit au pas de course, appelant le prénom du disparu, et ajoutant que ce n'est vraiment pas amusant. A mi chemin, la voilà qui trébuche sur une racine affleurant. L'instant d'après, elle se frotte énergiquement le genou, assise à même le sol. Mais dans celui qui suivra, d'autres racines sortiront de terre pour aller s'enrouler autour d'elle. Tout le monde retient alors sa respiration jusqu'à ce que le corps de la jeune femme se retrouve broyé et totalement désuni.
C'est la panique dans la maison. Tout le monde crie, pleure, jure, et évoque son entourage et son chez soi. Bientôt, deux groupes semblent se distinguer. L'un réunit tous les prudents, ceux qui veulent organiser une sorte d'expédition pleine de précaution et de lenteur pour essayer de sortir d'ici. L'autre contient principalement de la testostérone, à haute dose, et regroupe tous ceux qui pensent qu'il n'y a qu'à cramer toute cette merde et qu'on en parle plus. Tant pis si la maison doit brûler avec, l'important c'est de faire mal après tout, surtout si on doit ne pas s'en sortir de toutes façons. Patty, elle, est persuadée d'être encore dans un rêve, et prend tout ceci avec un détachement étonnant. Pourtant, elle choisira de se placer du côté de ceux qui iront prudemment en excursion dans la nature pour essayer d'en trouver l'issue.
Très vite, les choses s'organisent et il est convenu que l'expédition partira en premier, avec quelques vivres et deux portes dégondées afin de paver le sol pour prévenir toute irruption inopinée d'affectueuse verdure. Une heure après, au moins, le second groupe aura carte blanche pour dévaster tout ce qui lui fera plaisir, de toutes façons les premiers seront loin, ou morts.
Quelques minutes après, Patty se retrouve en équilibre sur une porte posée au sol et pleine de monde. Au moins trois couples, un ou deux célibataires, elle, et sa copine. Mais le petit groupe est vite rôdé, et les portes passent l'une devant l'autre assez rapidement. Arrivé à la racine meurtrière, tout le monde serre les dents, mais rien ne se passe. Mais après tout, le premier qu'on a vu entrer dans le couloir ne s'était pas fait prendre non plus, ce n'est pas tant que ça un exploit. Arrivé à la première ouverture, le groupe décide de l'emprunter, afin d'éviter le problème du glissement de terrain qui les attend devant la seconde. Un dernier coup d'oeil vers la maison avant la bifurcation leur permettra à tous de se conforter dans leur choix. Dans la maison, il n'y a que les sauvages qui sont restés. La preuve étant qu'à travers l'entrée on peut déjà les voir s'agiter, nus, les uns contre les autres. S'ils parviennent à s'en sortir, ils pourront se moquer des instincts primaires des brutes restées mourir dans cette vieille bâtisse couverte de lierre. Tiens, d'ici on voit très bien qu'elle est entièrement recouverte d'une épaisse couche verte, les fenêtres étaient donc bien toutes condamnées. Mais peu importe de toutes façons.
Le groupe d'aventuriers avance à bon rythme et semble éviter la plupart des pièges grâce à sa méthode. Plusieurs fois on a sursauté en en voyant se refermer au dessus de la porte, pour ne faire aucune victime. Souvent, on a hésité à mettre un pied sur la porte, au cas où le piège s'arme à nouveau. Combien de fois a-t-on relevé la porte pour la refaire tomber au même endroit afin de voir si c'était le cas ? Mais en attendant, cette maudite flore n'avait pas encore eu la peau d'un seul d'entre eux. Et le meilleur, c'est qu'ils ne fatiguaient même pas, et n'avaient jamais rencontré de cul-de-sac. C'était peut-être une chance, ou alors volontaire de la part de... quiconque avait bien pu être à l'origine de cette horreur. Ils commençaient à se demander s'il y aurait une fin, et ce qu'ils y trouveraient. Le meneur du groupe, qui avait eu l'idée des portes, avança qu'il y aurait peut-être un minotaure, et l'atmosphère se détendit quelque peu. Tous demeuraient soucieux, mais ne voulaient pas saper le moral des autres en l'extériorisant, alors chacun tentait de paraître détendu et de n'afficher que sourire sans conviction et enthousiasme simulé. Voilà deux heures qu'ils étaient partis, et ils n'en voyaient pas encore le bout. Un morceau de la porte avait été emporté par une sorte de mâchoire végétale, mais celle-ci n'était pas revenue et ils avaient pu traverser sans encombre. Ils ne pouvaient oublier le danger qui les environnait, mais ils étaient moins tendus qu'au départ.
Chaque transition d'une porte à l'autre est l'occasion de toutes les frayeurs. D'autant plus que la surface de la porte n'est pas très adhérente et qu'on redoute à chaque instant que quelqu'un ne glisse et renverse tout le monde contre une paroi du labyrinthe. Par chance, cela ne se produit pas. Parfois, il y a une feuille qui dépasse des autres sur le côté. Il n'y en avait pas au début. Personne ne sait pourquoi. Enfin, jusqu'à ce qu'un d'entre eux en fasse l'expérience, évidemment. Serrés comme ils sont sur leur petit pont de bois, un garçon a donné par inadvertance un coup d'épaule dans une de ces feuilles. Pas grand chose, il l'a seulement bougée un peu. Mais c'est suffisant pour que la plante le ressente et réagisse. En une fraction de seconde, on entend un craquement, et l'homme se fige. Une branche épaisse a jailli du mur de feuillage et l'a transpercé, embrochant à la volée sa copine, serrée contre lui depuis le début du voyage. Les deux s'affalent bientôt, et sont traînés par leur meurtrière sous les feuilles. Tous en restent figés quelques instants, choqués, mais ils se reprennent bientôt et envisagent de poursuivre.
Il ont désormais plus de place pour tenir sur la porte, et les risques s'amenuisent. Mais ils n'en tirent pas de réelle satisfaction, l'incident leur rappelant, au cas où ils auraient oublié, à quel point ils sont vulnérables. Reprenant leur rythme mais y croyant de moins en moins, le groupe progresse de nouveau dans la masse végétale. Une première porte se pose, tout le monde grimpe dessus, et la seconde se soulève à son tour, avant d'aller s'échouer devant la première. Et le manège se poursuit. Puis, comme si chacun des adversaires s'adaptait à l'autre au fur et à mesure qu'ils s'observent, quelques nouveautés apparaissent. Lorsqu'ils posent une porte, ils font attention à tout ce que cela produit. Puis, ils sautent dessus, deux par deux, pour gagner du temps dans l'espoir d'arriver enfin à la sortie. Mais une fois, alors que les deux couples de têtes sont sur la porte de devant, un complexe réseau de lianes se dresse, déchirant leurs corps en un bref instant. Puis, les lianes retombent et remportent avec elles les morceaux qu'elles ont ainsi produits, devant les quatre camarades restant, effarés, décontenancés, découragés, prêts à se jeter dans le premier piège qu'ils voient, pour en finir. D'ailleurs, un des deux célibataires sautera sur la porte piégée dès qu'il aura récupéré ses esprits. Mais en vain, il n'y a plus rien de dangereux ici. Dès lors, tous s'assoient en tailleur pour faire le point sur la situation, et pleurer un peu.
Lorsque les survivants sont en partie remis de leurs émotions, ils décident de n'avoir pas fait tout ce chemin pour rien et de tenter le tout pour le tout en continuant le parcours. Et quelques dizaines de minutes après, ils trouvent enfin ce que tous étaient venus chercher. Devant eux, s'étend une clairière bien ronde, d'une bonne trentaine de mètre de diamètre, et bordée de plantes bien serrées afin que nul n'y pénètre en un seul morceau. Rapidement, les quatre comparses ont parcouru la scène des yeux. Il n'y a qu'une seule issue...
Et c'est de là qu'ils viennent.
1/ De derrière un talus, un homme apparait. Il s'approche du groupe, l'air amical. Puis, il les félicite, collectivement, d'être parvenus jusqu'ici. C'était inespéré. Un des deux célibataires du groupe éclate de rage. Il crie sur l'homme et s'apprête à le frapper lorsqu'il se retrouve subitement pétrifié, et s'effondre, comme désarticulé. De lui, on n'entendra plus que quelques gargouillement, comme un appel à l'aide impossible à formuler. L'autre homme du groupe, après un putain merde à moitié prononcé, semble perdre la raison. Il fuit dans le labyrinthe, afin de s'assurer une mort moins douloureuse que ce à quoi il vient d'assister. En à peine dix mètres, il se retrouve arrêté par un énorme bourgeon, subitement jailli du sol. En s'ouvrant, celui-ci lui projette une vague de liquide visqueux. Dans un hurlement, l'homme porte ses mains à son visage. Avant de s'effondrer, il se retourne, peut-être pour montrer qu'il regrette son choix et que la fuite n'est pas une option. De toutes façons, il n'a plus de son visage qu'une demi oreille, le reste laissant la place à un trou béant, fumant, bouillonnant. Patty est toujours calme, mais sa copine est hystérique. L'homme lui demande de se calmer. Pour les remercier de ne pas avoir attenté à sa vie et d'avoir accepté d'établir une communication, il leur envoit un petit cylindre rose qu'il leur demande d'attraper. Patty, à moitié dans les vappes, est trop lente à réagir. C'est sa copine qui s'en saisit. Le dernier piège fait sa dernière victime, et Patty voit son amie de toujours s'enfoncer dans un océan de convulsion avant de l'abandonner. Patty est seule maintenant. Elle a gagné. L'homme la félicite, elle est la plus digne pour recevoir l'honneur de son peuple. En quelques secondes, Patty se retrouve captive d'une toile végétale qui s'enroule en cocon autour d'elle. Seule son crâne dépasse. Une pression sur celui-ci le fera bientôt céder, ouvert comme un oeuf. Sa cervelle est retirée et jetée au sol. A sa place, on dépose une mousse verdâtre. La prison s'ouvre, et une nouvelle Patty est prête à recevoir sa prochaine mission.
2/ Cela fait des heures maintenant qu'ils copulent dans tous les sens. Ils sont vidés, et fin prêts à risquer leur vie pour détruire l'assiégeant. Il leur reste de nombreuses bouteilles d'alcool, avec lesquelles ils fabriquent des cocktails molotov. Ils prennent tout ce qu'ils trouvent, remplissant même la plus petite bouteille qu'ils trouvent de fuel de chauffage afin de la transformer en arme redoutable. Lorsqu'ils en ont terminé, ils se préparent. Ils sortent de la maison, en file indienne, et allument un par un leurs bombes qu'ils envoient alentour, méthodiquement, afin de détruire le plus de végétal possible et d'y voir enfin clair. Si jamais le feu s'approche de la maison, ils tenteront de le contenir avec les deux extincteurs qu'ils ont trouvé à la cave, et les seaux qu'ils rempliront d'eau, pourvu que les robinets ne soient pas coupés. La réaction est à la démesure de la situation. Lorsqu'ils sont tous rentrés, que toutes les bombes ont été lancées, une vague verte se soulève. Elle est enflamée de toute part, et pénètre dans la maison, enroulant les membres de tout ce qui vit à l'intérieur. La porte d'entrée est condamnée par toutes ces tiges enflammées qui rapportent le combustible là d'où il n'aurait jamais dû partir.
Peu après, la maison n'est plus que ruines brûlantes, tombeau des corps calcinés, carbonisés, de ceux qui se sont crus supérieurs tout en étant si fragiles. Pour que le feu n'aille pas trop loin, les tiges enflammées se détachent de leurs racines, se rétractent, et la dernière flamme disparait, laissant derrière elle le charnier fumant d'une fête étudiante qui a mal tourné.

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