Troisième idée fausse : La France souffre d'une insuffisance d'impôt
La France est parmi les pays aux plus forts prélèvements fiscaux : presque 46 %. En ajoutant les recettes non fiscales, les « administrations publiques » reçoivent la moitié des richesses produites annuellement. Et pourtant rien ne justifie cette importance : ni la qualité de la protection sociale, ni celle du service public. Comme le constate François Villeroy de Galhau, ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn, « la France est dans une situation singulière puisqu'elle combine un niveau de dépenses nordiques avec un modèle européen de services publics et de prestations sociales ». C'est-à-dire « dépenses fortes et services moyens » !
Soyons clair. La marge de manoeuvre pour augmenter les impôts aujourd'hui est ténue Une hausse d'impôt même forte concentrée sur les revenus les plus élevées fournirait des recettes insignifiantes : prélever 10% point d'impôt en plus sur les tranches de revenus supérieures à 8000 € par mois entraînerait une augmentation du produit de l'impôt de l'ordre de 0,02 % du PIB ; la même augmentation frappant les ménages gagnant plus de 3500 € par mois rapporterait 0,7 % du PIB. Une hausse d'impôt pour rapporter des recettes suffisantes devra donc être généralisée à l'ensemble de la population, mais avec des risques déflationnistes importants. Jacques Chirac en a fait l'expérience, quand augmentant la TVA de 2 points en 1995, il a décalé de plusieurs mois le redémarrage de l'économie. Et c'est Lionel Jospin qui en a profité. Des économistes, se fondant sur l'expérience des pays de l'OCDE, ont d'ailleurs montré qu'aucun d'entre eux n'avait résolu les déficits par une hausse des impôts. A l'inverse, la réussite est venue des politiques de maîtrise des dépenses publiques. C'est ici le véritable défi que la France doit relever, qui est celui de l'efficacité de la dépense publique. A cet égard, Jacques Marseille rappelait que l'inefficience de cette dernière vient de cette gigantesque foire d'empoigne que sont devenues la redistribution et l'obtention de subsides publics : « dans une économie où plus de la moitié du PIB est absorbée par la dépense publique, le meilleur moyen de s'enrichir est d'accroître les prélèvements sur les contribuables. Il est plus rentable de se battre pour un revenu distribué par l'Etat que de créer une richesse dont la plus grande part sera prélevée par d'autres ». Rappelons un constat du rapport publié en 2005 par la Commission « famille, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin Hirsch sur l'inefficacité dans la lutte contre la pauvreté. des dépenses sociales françaises pourtant parmi les plus élevées d'Europe Bref, maîtriser l'endettement exige aujourd'hui de mettre la dépense publique au service de l'intérêt général : lutter contre la pauvreté, améliorer la protection sociale, cela passe par la déclinaison d'une logique de performance, ce qui implique de définir des objectifs clairs, d'adapter l'organisation publique en conséquence en tenant compte de l'évolution technologique (sortons du découpage administratif issu de l'époque napoléonienne) et de confier au privé les activités qu'il saura réaliser à meilleur coût. C'est aussi accepter une adéquation des retraites – qui n'ont aucune contrepartie pour la collectivité et les générations à venir – aux conditions démographiques et sanitaires de la population, et ce, pour mieux investir !
Quatrième idée fausse : La dette est peu grave car inférieure à la valeur du patrimoine de l'Etat.
En premier lieu, l'argument est arithmétiquement faux ! La valeur des actifs de l'Etat (pour les techniciens : assimilé à l'ensemble des « administrations centrales ») n'excède pas 750 milliards d'euro, même si on peut discuter de la valorisation (qui peut me dire combien vaut le château de Versailles ?). Mais surtout, il y a un biais majeur dans le raisonnement qui veut que tant qu'il y a de l'actif, il puisse y avoir de la dette ! Pourquoi, en effet, aucun banquier n'acceptera de me prêter pour acquérir ce superbe appartement dans le XVIeme arrondissement parisien, qui vaut plusieurs décennies de mes revenus ? Pourtant, après opération, l'actif sera bien égal au passif ! Certes, mais mes revenus ne me permettront pas d'honorer les échéances du crédit. Donc, pour rembourser, il me faudra me « débarrasser » de ce bien immobilier. Au final, je serai bien avancé ! L'idée même d'adosser actif et passif entre donc dans une optique liquidative, c'est-à-dire qu'on pose le principe de la cessation de toute activité, de vendre pour rembourser : plus d'écoles, plus de gendarmeries, plus de préfectures ... Imagine-t-on une telle situation (quel symbole ce serait, que la vente du chateau de Versailles !) ? Certes, l'Etat détient des actifs qui ne sont pas nécessaires à son activité. Ceux là peuvent être cédés sans dommage. Mais la dette se reconstituera, puisque sa cause n'est pas éteinte. Il faut bien comprendre qu'une dette (pour les techniciens : autre qu'une avance de trésorerie) se rembourse par prélèvement sur les recettes, non par des cessions d'actif, qui sont ponctuelles et non renouvelables. Bref ! Le château de Versailles ne pourrait être vendu qu'une seule fois, alors que la dette se nourrit de déficits récurrents ! Il reste aussi le patrimoine des Français. Certains sans barguigner avancent l'idée qu'on peut le mettre en parallèle avec la dette de l'Etat. Ce qui implicitement signifie qu'on peut confisquer les avoirs des Français pour rembourser. Espérons que cela restera un délire de l'imagination, car une telle action laisserait des traces ...
Avec ces 2 billets, j'ai donc passé en revue 4 idées fausses qui pourtant nous sont ressassées à satiété. La réalité aujourd'hui, c'est que la dette finance du vent en raison des lenteurs de notre pays à s'adapter à un contexte qui évolue en permanence. C'est certes confortable de vivre à crédit, mais la fin en est souvent triste. La France s'est déjà glissée parmi les pays les moins riches de l'Europe des 15. Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins.
A.B. Galiani.