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Le vivant à la masse

Publié le 24 juillet 2024 par Taupo

L'homme ne représente que 0,01 % de la vie sur Terre - quel est le reste ?

Transcription de la chronique pour la 511ème émission de Podcast Science, dont la thématique était sur le kilogramme, et qui a été écrite à 4 mains avec mon camarade Johan Mazoyer.


Taupo
Avec Johan, on s’est demandé si le vivant pèse dans le game. Dans le sens “combien pèse l’intégralité du vivant” et quelles sont les leçons qu’on peut tirer de ce genre de mesure. Quand on s’intéresse à ce genre de statistiques, notamment en biologie, il y a un nom qui revient très rapidement sur le devant de la scène : celui de Ron Milo. Il s’agit d’un Professeur israélien spécialiste de la Biologie des systèmes, aussi connu sous le nom de Biologie intégrative. C’est une nouvelle discipline cherchant à mieux modéliser un système vivant en intégrant toutes les relations et interactions de ses parties. Et dans cette discipline, voire la biologie en général, le prof. Milo, c’est du lourd ! Avec un total de 65 articles, son travail a été cité 56088 fois par d’autres articles de recherche. Il faut dire qu’une de ses spécialités, c’est de répondre à des questions toutes bêtes mais qui semblent essentielles. Sans m’en rendre compte, j’ai utilisé à plusieurs reprises ses rigoureuses estimations du nombre total de cellules du corps humain et de leur remplacement quotidien (pour infos environ 3,8 trillions de cellules pour un homme de 70kg dont le turnover cellulaire équivaut à 80g).
Si vous aimez ce genre de stats, Ron Milo a aussi pensé à les compiler sur une site web très pratique appelé Bionumbers qui a sa version en livre, gratuite à télécharger : Cell By the Numbers. Cette marotte de collectionner des ressources lui est particulièrement utile lorsqu’il se lance dans ce qu’on appelle des méta-analyses, c'est-à-dire des synthèses statistiques de nombreuses études de cas.
Et c’est exactement ce qu’il a entrepris lorsqu’il s’est demandé quelle était la masse actuelle du vivant. Dans son article “la distribution de la biomasse sur Terre”, son équipe a estimé que le vivant pesait 550 Gt (550 milliards de tonnes) de Carbone. Alors avant de se demander pourquoi on mesure ça en tonnes de carbone plutôt qu’en tonnes tout court, je vous propose qu’on découpe ce gros gâteau de 550 Gt en différents groupes d’organismes :

Biomasse Terrestre Totale
Biomasse Animale Totale

En 2011, une étude estimait à environ 8,7 millions le nombre d'espèces sur notre planète, bien que les chiffres puissent varier entre 3 et 100 millions selon d'autres sources. Les plantes constituent environ 82 % de la biomasse totale, représentant approximativement 450 gigatonnes de carbone (Gt C). Les bactéries, avec environ 70 Gt C, soit 15 % de la biomasse, sont le deuxième groupe le plus important. D'autres groupes contribuent de manière significative mais moindre : les champignons (12 Gt C), les archées (8 Gt C), les protistes (4 Gt C), les animaux (2 Gt C) et les virus (0,2 Gt C).
Les humains, malgré leur impact considérable sur l'environnement, ne représentent que 0,01 % de la biomasse totale et 2,51 % de la biomasse animale. Cette proportion est comparable à celle du krill Euphausia superba (0,05 Gt C), ainsi qu'à la masse des bovins et des termites. Les animaux, les protistes et les bactéries constituent ensemble environ 80 % de la biomasse marine, alors que sur terre, ils ne représentent qu'environ 2 %. Ainsi, la biomasse animale est principalement concentrée dans les environnements marins, soulignant l'importance des océans dans le maintien de la vie sur Terre.

Visualizing the Biomass of Life

Bon c’est bien rigolo ces chiffres, mais il faut se demander maintenant comment ils ont été obtenus et surtout pourquoi ces mesures impliquent le carbone ! Dans l’étude du laboratoire de Ron Milo dont le premier auteur est Yinon Bar-On, une partie du Matériel et Méthode explique justement ce choix. En effet, pour mesurer la biomasse, à part la masse en carbone, on peut aussi utiliser le biovolume, la masse humide ou le poids sec. Le boulot de cette équipe de recherche a donc été de compiler des centaines d’études déjà faites (et de générer eux-mêmes quelques mesures) et donc de tenter d’uniformiser les types de mesures pour mieux les additionner et les comparer entre elles.
Pour la compilation, ils se sont mis en quête d’études d'échantillonnages de la Biomasse. Un bon exemple, ce sont les expéditions comme celles organisées par Tara où des équipes de recherches réalisent tout plein d’échantillonnages, à différentes localisations, différentes profondeurs, etc. Mais vous pouvez aussi utiliser des méthodes indirectes, comme des images satellites, des données bio-acoustiques, etc.
Ensuite il faut qu’à chaque étude, on attribue des caractéristiques géographiques et environnementales pour comptabiliser un maximum de paramètres (ensoleillement, température, profondeur… Tout ça pour permettre de corréler des valeurs de biomasses avec ces paramètres, phase essentielle avant celle de l’extrapolation. Parce qu’après on va cartographier tous nos paramètres environnementaux sur la planète et extrapoler nos valeurs échantillonnées sur l’ensemble du globe.
Mais comme je vous le disais, avant toute chose, il faut s’accorder sur quelle mesure de la biomasse employer. Un premier choix a donc été de supprimer la variable du contenu en eau des organismes, vu qu’elle a tendance à varier follement entre espèces (comparez une méduse avec 95% de flotte et un humain avec environ 60% d’eau dans le corps), mais surtout peut varier en fonction de la saison, du moment de la journée, du stade de vie... Et bien entendu, ça fait varier le biovolume. Bref pas top pour une comparaison fiable. Du coup ça laisse le poids sec et la masse de carbone, et il s’avère que la plupart des études privilégient la masse de carbone. Coup de chance, il est assez facile de passer de la mesure en poids sec à celle en carbone (en gros la masse de carbone c’est la moitié du poids sec).
OK on comprend la partie pratique de ce choix, mais pourquoi autant d’équipes ont privilégié la masse en carbone ? Répondre à cette question revient en fait à se demander à quoi servent ces études ! Et au delà de fournir des statistiques sympatoches à sortir dans une chronique de Podcast, la quantité de Carbone fournit des informations cruciales aux biologistes voire… aux climatologues.
En effet, parmi tous les éléments qui composent un organisme vivant, il y a fort à parier qu’on vous a sensibiliser au fait que 4 d’entre eux étaient plus importants que les autres : les CHON. C pour le Carbone, H pour l’hydrogène, O pour l’oxygène et N pour le (n)azote (ça marche mieux en anglais avec N qui signifie Nitrogen, littéralement générateur de nitre aussi connu sous le nom de salpêtre). Parmi ces 4 éléments, le Carbone a une particularité, c’est qu’il n’a pas tendance à se retrouver dans d’autres structures de notre planète. Si vous prenez l’Azote et l’Oxygène, il y en a plein dans l’atmosphère et dans la couche terrestre. Et pour l’hydrogène, c’est dans l’eau. Le carbone, lui, est retrouvé à l’état de traces dans ces trois milieux (même si on en trouve un poil trop en ce moment dans l’atmosphère), et constitue donc un marqueur particulièrement efficace de la matière dite organique : qu’elle soit vivante ou morte, entendons-nous bien.

On dit que le Carbone est bioséquestré. Or cette bioséquestration du Carbone, c’est hypra important pour modéliser les cycles biogéochimiques à l’échelle de notre planète, mais aussi pour déterminer l’impact passé et futur des activités humaines. Vous l’aurez compris, le carbone est un élément crucial à considérer pour jauger l’état de la biodiversité. Mais d’où vient-t-il ce carbone sur notre planète ?

Johan
D'où vient la masse qui nous constitue ? En effet, nous sommes de gros sacs d’oxygène et de carbone, avec plus de 18% de notre masse qui vient d’atomes de carbone et les 2/3 qui viennent de l’oxygène !
Mais est ce que nos atomes sont représentatifs de la masse des atomes qui constitue notre planète par exemple ?

La Composition de la Terre et de l'Univers : Un Voyage à Travers les Éléments
Et bien, pas du tout ! La masse de notre planète est constituée à 30 % de fer et 30 % d’oxygène. Le dernier tiers est composé de divers atomes plus complexes, comme le silicium et le magnésium. Le carbone n'apparaît qu’à la 15ᵉ place dans l'ordre des éléments les plus présents dans la masse terrestre, avec seulement 0,07 %.
Et à l’échelle de l’univers ? Et bien, c’est encore différent, car dans son énorme majorité, l’univers est constitué de deux éléments seulement :
- l’hydrogène à 74 %
- l’hélium à 24 %
Il ne reste donc que 2 % pour tout le reste, avec l’oxygène à 1 % et le carbone à 0,4 %. Les astronomes, par facilité, appellent en pratique “métaux” tous les éléments qui ne sont pas de l’hydrogène ou de l’hélium. Donc, pour les astronomes, quand on parle de la métallicité d’une étoile, on parle souvent de la quantité d’oxygène qu’elle contient.
Nous sommes donc des sacs de carbone sur des tas de métaux dans un univers de gaz.
D’où vient cette différence de composition entre les différentes échelles ?
Pour la différence entre l’humain et la Terre, Taupo vient de le dire : parce que la vie, sur Terre en tout cas, est une machine à traiter du carbone. On le mange, on le respire, on l’expire, on le ch… Donc, il est normal que nous concentrions le carbone !
Et pour la différence entre l’univers et la planète Terre ? Pour y répondre, il faut comprendre comment les atomes se créent. Pour créer un atome, il faut une forge. En effet, seule la fusion nucléaire peut avoir des conditions suffisamment chaudes et denses pour créer de nouveaux atomes. Sur Terre, en dehors des réacteurs de fusion nucléaire comme les tokamaks ou les explosions, il n’y a pas de création de nouveaux atomes. Lorsqu’on fait de la chimie, on crée de nouvelles molécules, on échange des atomes, mais la vraie création d’atomes est un processus très rare.
Repartons au moment du Big Bang, la forge initiale, il y a presque 14 milliards d’années. Initialement, il faisait si chaud qu’il n’y avait même pas d’atomes. L’univers était si dense et si chaud que les particules élémentaires étaient en activité dans toutes les directions : des neutrons, des protons et des électrons. Mais à chaque seconde, l’univers s’étendait et se refroidissait. Au bout d’une minute environ après le début, commence ce qu’on appelle la nucléosynthèse primordiale : des atomes se forment, uniquement les plus simples, en très grande majorité de l’hélium et de l’hydrogène. Mais cela va très vite, car au bout d’environ 300 secondes, la nucléosynthèse primordiale prend fin ; il ne fait déjà plus assez chaud pour créer des atomes. Et c’est donc la fin de la forge initiale. L'hélium et l’hydrogène dominent, mais pas d’oxygène, ni de carbone. Pour cela, il faut attendre la forge suivante.
Cela prend du temps, car l’univers doit continuer de se dilater doucement. Au bout de 400 000 ans, l’univers est si peu dense que le plasma qui le composait est devenu un gaz neutre et transparent composé quasiment uniquement d’hélium et d’hydrogène, comme maintenant, mais sans étoiles. Pas le moindre foyer à l’horizon pour fabriquer un petit atome… Non seulement nous n’existons pas, mais les étoiles n’existent pas, et les atomes qui composent notre planète et nous-mêmes n’existent pas ! Pour voir la fin de cet âge sombre, il faut attendre que se forment doucement des grumeaux dans la soupe primordiale, que les atomes s’attirent patiemment les uns les autres, puis forment des nuages de plus en plus lourds, qui à leur tour attirent d’autres atomes. Au bout d’environ 200 millions d’années, la première étoile s’allume. La première forge stellaire est allumée, et on peut commencer à reformer des atomes. Deux atomes d’hélium fusionnent pour former du béryllium, puis ce béryllium et un autre noyau d’hélium forment du carbone, qui lui-même fusionne avec de l’hélium. Plus l'étoile est grosse et âgée, plus les températures augmentent en son sein, permettant la formation d’atomes de plus en plus complexes, issus de la fusion d’atomes plus simples. Deux atomes d’oxygène peuvent ainsi former du silicium, présent dans la plupart de nos roches. Et ainsi, générations d’étoiles après générations d’étoiles, l’univers s’enrichit en éléments lourds.
On comprend bien que cette formation en pyramide fait que plus un élément est lourd et complexe, plus sa formation est rare. C’est comme au jeu 2048 ! On commence avec des nombres simples, qu’on assemble pour obtenir des multiples plus grands, mais cela prend du temps. Pendant tout le 20ᵉ siècle, les astrophysiciens stellaires ont patiemment exploré ce jeu pour trouver toutes les relations de fusion possibles, théoriques et pratiques, jusqu’à la limite du fer.
Au-delà du fer, plus de fusion stellaire possible : il n’existe pas d’étoiles assez grosses et chaudes pour réussir à fusionner des éléments plus complexes. Nous avons déjà les atomes qui nous composent : l’azote et l’oxygène de notre atmosphère, le fer et le silicium de notre planète, et notre précieux carbone. Comme le disait Carl Sagan : « We are made of star stuff », traduit par notre regretté Hubert Reeves comme « nous sommes tous des poussières d’étoiles ». Les atomes qui vous composent ont presque tous été fabriqués au sein d’une étoile.
Mais si l’on peut déjà fabriquer de l’eau, du pain et de la bière, il manque encore des éléments comme l’argent, l’or, les métaux précieux et presque tous les éléments radioactifs. C’est le rêve des anticapitalistes et des antinucléaires ! Mais continuons pour les amateurs de richesses et de science nucléaire. La suite de la nucléosynthèse est explosive : la troisième forge des atomes, plus chaude qu’une étoile qui brûle, est une étoile qui explose. En effet, à un moment donné, il n’y a plus rien à fusionner et l’étoile s’éteint. La gravité reprend ses droits, et en quelques millisecondes, la couche externe de l’étoile s’effondre à grande vitesse, produisant une énorme quantité d’énergie et rallumant la forge une dernière fois. C’est la supernova. La formation de certains éléments nécessite peut-être encore plus d’énergie que ce qu'une supernova peut produire, mais cela nous éloigne du sujet d’aujourd’hui.

Voilà, ça c’est comme ça que l’on sait comment les atomes se forment. Comment se retrouvent-ils donc sur les planètes ? On avait fait un épisode sur la formation planétaire il y a quelques années, l’épisodes 384, donc je ne vais pas revenir trop en détail, mais l’idée principale c’est qu’au début un cœur solide se forme, car les petits grains de roches ou de glaces sont capables de s’agglomérer, contrairement au gaz. Et après, ce sont les plus grosses planètes comme Jupiter qui prennent le gaz aux autres. Et à la fin on se retrouve avec des planètes rocheuses avec beaucoup d’éléments lourds (Fer, Oxygène, Silicium) et très peu des éléments légers comme l’hélium et l’hydrogène qui sont pourtant de très loin les plus fréquents mais qui sont accaparés par le Soleil et les planètes gazeuses.
Bon pour le moment, on a surtout parlé des atomes, mais il y a une molécule qui constitue la majorité de notre masse, c’est l’eau ! C’est vrai qu’on a tendance à considérer que notre Carbone, à la base de tous nos tissus, de notre ADN et de nos os, est plus “nous” que notre eau, qui ne fait que passer et c’est pour ça qu’on va souvent parler en biomasse sèche. Mais un humain trop sec, il est mort. On compte entre 50 et 60% de la masse humaine comme composée d’eau ! Et cette eau sur Terre, elle a aussi une histoire. En effet, il y a sans doute de la glace qui figurait parmi les grains originaux qui ont formé la Terre. Mais le souci, c’est que comme on a pas une énorme enveloppe de gaz qui nous entoure, si on se tamponne un gros caillou bien vite, l’eau a tendance à se vaporiser, et à s’échapper. Et un gros caillou qui vient nous taper, c’est arrivé lors de la formation de la Lune. On en avait parlé avec le passionnant et génial Professeur Charnoz dans l’épisode 452.
En effet, peu de temps après la formation planétaire, on avait plein de petites planètes qui se battaient pour les grains qui leur permettait de grossir. Celles qui ont réussi sont devenues les planètes, celles qui ont échoué sont restées des planètes naines, comme Cérès, entre Mars et Jupiter, ou Pluton, au-delà de Neptune. Et il y a parfois des collisions ! Au début de son histoire on pense ainsi que la Terre et une planète quasiment de la même taille, se sont emplafonnées, ce qui a éjecté tellement de matière qu’on a formé la Lune. Mais vous imaginez bien qu’après un tel impact, toute l’eau sous forme liquide ou gazeuse, s’est évaporée ! La question est : est ce qu’elle s’est re-condensée ensuite ? Ou alors est ce qu’elle s’est échappée et dans ce cas, on aurait un réapport de l’eau beaucoup plus tardif ? Mais de quelle source ? Et bien peut être grâce à de petits impacts plus récents de météorites à haute teneur en eau et/ou de comètes. Pour y répondre : origines récentes ou anciennes, il faut aller poser des atterrisseurs sur ces objets pour aller y prélever de l’eau et regarder si cette eau est proche ou non en composition de la notre.
Voilà maintenant que vous avez l’origine de la masse sèche et de la masse humide des buveurs de bière et autre, je vous laisse repartir avec Taupo pour comprendre comment ça évolue.

Taupo
Tout à l'heure, je vous disais que mesurer la biomasse permettait de la comparer avec d’autres mesures et de jauger l’impact de l’humanité sur notre planète. Il s’avère que la même équipe de recherche de Ron Milo a récemment voulu estimer la biomasse totale à la matière générée par l’humanité : la masse anthropique. De ce que nous a expliqué Johan, on peut exclure le fait que l’humanité a véritablement créé de la matière sur notre planète. C’est bien entendu de produits manufacturés qu’on parle ici comme "le béton, les agrégats, les briques, l'asphalte et les métaux" et "les autres composants, le bois, le verre et le plastique".
Alors en vous rappelant que la biomasse totale sur notre planète équivaut à 550 milliards de tonnes de Carbone (donc grosso modo 1,1 Teratonnes en poids sec), à votre avis à combien s’élève la masse de tout ce que l’humanité a fabriqué ? 1%, 2 %, 20 % ?
Et bien non, c’est 100% en 2020. Au moment de cette étude, Ron Milo et son équipe a constaté que la Terre se trouve exactement au point de croisement où la masse anthropique est égale à celle de la biomasse. Qui plus est , ils estiment qu’elle double environ tous les 20 ans notamment du fait qu’en moyenne, chaque personne sur le globe produit chaque semaine une masse anthropique supérieure à son poids corporel.

L’étude révèle que ces 1,1 tératonnes de masse anthropique sont essentiellement constituées de matériaux de construction pour des buildings et infrastructures. 200 Gt de plus que l’ensemble des plantes. Et pour le plastique, on en a produit 8 Gt ce qui est deux fois plus que l’ensemble de biomasse animale… 
Alors si c’était juste du rab de matière sur la planète, ça pourrait encore passer, mais le problème c’est que cette masse anthropogénique, elle est accumulée au détriment de la biomasse.

Pour compléter mes comparaisons de tout à l’heure, sachez qu’aujourd'hui, la biomasse des humains (≈0,06 Gt C) et la biomasse du bétail (≈0,1 Gt C, dominée par les bovins et les porcs) dépassent de loin celle des mammifères sauvages, dont la masse est de ≈0,007 Gt C. Et il en va de même pour les oiseaux sauvages et domestiques, pour lesquels la biomasse de la volaille domestique (≈0,005 Gt C, dominée par les poulets) est environ trois fois plus élevée que celle des oiseaux sauvages (≈0,002 Gt C). En fait, les humains et les animaux d'élevage dépassent tous les vertébrés réunis, à l'exception des poissons. Tous ces chiffres ahurissants font état de l’augmentation de la biomasse animale domestique et sont donc la conséquence de la révolution agricole. Des équipes de recherches ont estimé qu’à travers cette révolution, l’humanité a diminué de moitié la biomasse des plantes (de 2Tt à 0,9Tt) pour notamment faire place aux cultures. Pour préparer cette chronique, Johan et moi voulions discuter de la variation de la biomasse à travers les âges et notamment à travers les extinctions majeures de l'histoire du vivant. Je pense que mon explication du protocole réalisé pour estimer la biomasse mondiale actuelle vous aura convaincu de la difficulté de cette entreprise, et vous ouvrira la perspective quasi impossible de réaliser une telle estimation dans un lointain passé. 
Mais il s'avère qu’un chercheur, Anthony Barnosky, a réussi à estimer la variation de la biomasse à travers la dernière extinction : celle de la mégafaune terrestre du quaternaire. En extrapolant de nombreuses estimations de biomasse de mammifères terrestres fossiles dépassant les 40kg, il a pu réaliser des courbes d’évolution de la biomasse de ces espèces jusqu’à leur extinction qui équivaut à la moitié des espèces qui ont vécu d’il y a 50000 ans jusqu’à nos jours. Ensuite il a comparé ces valeurs avec l’évolution de la biomasse humaine (en s'appuyant sur une autre étude d’un dénommé Hern qui a intitulé son article d’un éloquent “Combien de fois la population humaine a-t-elle doublé ? Comparaisons avec le cancer”). Les courbes sont éloquentes : la biomasse de la mégafaune suit à peu près l’évolution de celle de l’humanité jusqu’il y a 12000 ans, après quoi la biomasse de la mégafaune s’écrase et celle de l’humanité bat tous les records…

Et pour l’extinction de certaine de cette mégafaune terrestre sauvage, on peut trouver le coupable facilement (spoiler, c’est nous), à l’instar des humains ayant colonisé l’australie il y a plus de 50000 ans en cramant des forêts pour notamment y chasser la mégafaune. Mais on sait aussi bousiller la mégafaune marine avec l’exemple flagrant de l’extinction de certaines espèces poids lourds comme la rhytine de steller, une sorte de lamantin géant disparue à la fin du XVIIIème siècle. L’exploitation d’autres mammifères marins aurait ainsi entraîné une diminution de la biomasse globale des mammifères marins d’un facteur 5 (de ≈0,02 Gt C à ≈0,004 Gt C)...
L'impact de la civilisation humaine sur la biomasse mondiale ne s'est pas limité aux mammifères mais a également profondément transformé la bio séquestration de carbone par les végétaux. Un recensement mondial du nombre total d'arbres a suggéré que la biomasse végétale totale a été réduite d'environ moitié par rapport à sa valeur avant l'avènement de la civilisation humaine. Est-ce qu’on compense avec nos champs de blés et maïs ? Que nenni… La biomasse totale des plantes cultivées par les humains étant estimée à environ 10 Gt C, ce qui représente seulement 2 % de la biomasse végétale totale actuelle.

Donc pour résumer, les humains ont eu un impact historique sur la biomasse globale de la plupart des groupes d’espèces à savoir:

  • L’énorme diminution de la biomasse totale des animaux sauvages

  • Le gain de la biomasse totale des mammifères dû à l’élevage du bétail ;

  • Le profond remaniement de la quantité totale de carbone piégé par les plantes.

Bon, désolé, je me doute bien qu’avec ce sujet un peu lourd, j’ai plombé l’ambiance… Et je sais pas vous, mais moi parfois ça me donne envie de tout péter, notamment toute cette masse anthropique qui s’accumule au détriment de la biomasse. C’est pour cela que j’ai demandé une méthode de destruction massive à Johan … Reste à déterminer la masse nécessaire !

Johan
 Voilà, du coup je me suis demandé combien est-ce qu’il fallait de masse de la part de l’univers pour un petit peu rétablir la balance et commencer à diminuer cette biomasse en comparaison du reste. Et donc, j'ai confirmé ce que je savais déjà, mais il n'y a toujours pas officiellement de mort confirmée par météorite. Donc, on peut imaginer qu'au-delà de quelques grammes, voire quelques kilogrammes, c'est le genre de météorite qui ne fait normalement pas beaucoup de dégâts, des bâtiments, des toitures, des voitures qui sont abîmées, mais pour le moment, il n'y a jamais eu de cas mortels confirmés. L'International Comet Quarterly recense les incidents les plus conséquents depuis plus de 200 ans. C'est sur le site d'Harvard. Il note quand même quelques cas, par exemple, en 1879, le 31 janvier à Adin-le-Pouellier dans l'Indre, un fermier a été apparemment tué par une météorite. Donc il y a quelques cas effectivement qui sont reportés dans cette base de données mais en fait aucun depuis 100 ans. La dernière fois que ça a été reporté c'est en Yougoslavie en 1929 mais comme à l'époque, ça n'avait pas été vérifié par des scientifiques, est-ce que c'était pas plutôt une explosion? Enfin voilà. D'ailleurs, jusqu'à récemment, j'ai trouvé un article du 8 février 2016 dans Le Monde qui indiquait qu'un Indien serait mort par météorite, mais ça avait été invalidé par des scientifiques indiens, et reportés par la NASA. Apparemment, c'était une explosion tout à fait terrestre. Donc, si vous voulez commencer une carrière d'astronome forensique, ce n'était pas un métier d'avenir. Je pense que c'est déjà arrivé dans l'histoire de l'humanité, mais c'est relativement rare quand même. Dans cette base de données, on découvre qu'à Draveil, le 13 juillet 2011, il y a un caillou de 5,2 tonnes qui est tombé dans un jardin et qui a un petit peu abîmé un toit et puis un pare-prise de voiture.
Pour commencer à faire un peu de dégâts il faut commencer à bien grossir voilà et le phénomène le plus spectaculaire qui peut arriver après, on peut imaginer par exemple la chute d'un impacteur dans l'océan qui occasionnerait un gigantesque raz de marée : là on peut commencer à faire du dégât, on peut commencer à raser une ville. Des calculs ont été effectués qui estimeraient qu'il faudrait un impact d'un objet d'1 km de diamètre. J'ai fait une petite estimation en comptant la densité moyenne des astéroïdes et on part sur un objet de 10 000 tonnes. On commence à peser, on peut raser des villes. Pour une extinction de l'espèce, c'est quand même un peu léger 10 000 tonnes.
Donc j'ai trouvé un papier qui s'appelle « Relations entre la taille des cratères d'impact et la gravité des épisodes d'extinction associés » publié en 2020 dans Earth Science Review, et ils proposent une kill curve du nombre d'espèces éteintes en fonction de la taille du cratère.

Et donc, j'ai découvert qu'il y avait plusieurs cratères qui avaient mené à supposer qu'ils ont mené à des extinctions de masse. Donc, on connaît celui il y a 66 millions d'années, qui était un astéroïde de 12 km de diamètre, qui est tombé dans la ville portuaire de Chixculub, au Mexique. 12 km de diamètre, ça fait 125 000 tonnes. Et lui, donc, il a fait un gros impact. Mais il y en a eu d'autres. Il y a eu celui de Popigai, qui est tombé en Sibérie et qui faisait entre 5 et 8 km de diamètre et qu'on estime qu'il a tué 30% des espèces sur Terre. Ça c'est seulement plusieurs milliers de tonnes.
Un petit peu plus gros qui tourne aussi autour de cette taille-là mais dont on estime qu'ils ont tué environ 40% des espèces : deux gros cratères à Morokweng en Afrique du Sud et Manicouagan au Québec. Et puis le plus gros, je vous l'ai dit, Chixculub, avec 70% d'espèces éteintes après sont arrivée. On commence à friser l'extinction, pas sûr que l'humanité survive à ce truc-là, sachant qu'il est estimé que suite à l'astéroïde de Chixculub, il y a eu 700 jours d'obscurité totale !
Bon, alors pour l'extinction totale, l'événement planétaire qui transforme la biomasse vivante en énergie fossile du jour au lendemain, eh bien, ce n'est pas très clair parce que, comme je le dis souvent, la vie sa grouille et je vous encourage à écouter mon épisode dans le podcast 509 sur la pourriture biologique. Et comme je le dis souvent, si vous pensez que la vie est une petite chose rare et fragile, arrêtez de nettoyer vos toilettes cette année. Et donc, si on extrapole la courbe, je ne sais pas si j'ai le droit de le faire, mais c'est l'extrapolation qui a été faite dans le papier que je viens de vous sortir, avec sa kill list, j'estime qu'il faudrait un astéroïde à peu près 50 fois plus gros pour avoir une chance d'atteindre 100% d'extinction. Donc autour de quelques centaines de milliers de tonnes. Mais ce n'est pas du tout certain non plus. Et j'ai trouvé un autre papier où il parle de 100 km d'astéroïde nécessaire pour une extinction totale de la vie. Mais si on veut vraiment être sûr, il faudrait imaginer par exemple faire péter la planète et ça pour le coup ça a l'air assez difficile! On l'a vu Théia tout à l'heure qui faisait la taille de Mars, soit 10 fois moins massive que la Terre mais donc quand même 25 000 gigatonnes. Et donc si Mars tamponnait la Terre et bien ça n'arrivait même pas à empêcher notre chère Terre à se reformer, et puis à l'eau de revenir, et puis la vie d'apparaître après. Donc voilà, tout ça pour dire que les scénarios en mode étoile de la mort, même s'ils seraient sans doute assez efficaces pour faire disparaître toute la vie, sont assez improbables : c'est assez difficile de faire disparaître une planète comme ça.

Liens :

Quel est le plus lourd ? Animaux ou plastique
L’humanité plus lourde que la nature ?
Sources - Ordre de Grandeur
Biomass
Impact humain sur l'environnement — Wikipédia
Anthroposphère
The Weight of Life
How Much Does Humanity Weigh?
Biomass - How Much Does Life on Earth Weigh?
All the Biomass on Earth in One Massive Visualization
Humans make up just 0.01% of Earth's life — what's the rest? - Our World in Data
Distribution of biomass on the planet - Encyclopedia of the Environment
Répartition de la biomasse sur la planète - Encyclopédie de l'environnement
Comment estimer la biomasse globale ? - Encyclopédie de l'environnement
Une famille de comètes relance le débat sur l’origine de l’eau sur Terre | CNRS
Ron Milo
https://en.wikipedia.org/wiki/Ron_Milo
https://bionumbers.hms.harvard.edu/search.aspx

Références :

Bar-On, Y. M., Phillips, R., & Milo, R. (2018). The biomass distribution on Earth. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(25), 6506‑6511. https://doi.org/10.1073/pnas.1711842115
Bar-On, Y. M., & Milo, R. (2019). The biomass composition of the oceans : A blueprint of our blue planet. Cell, 179(7), 1451‑1454. https://doi.org/10.1016/j.cell.2019.11.018
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