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Procès Mbako, Anioto homme léopard – mythe et réalité de Jean-Michel Kibushi Ndjate Wooto

Publié le 22 juillet 2024 par Africultures @africultures

En avril 2023, le Jean-Michel Kibushi Ndjate Wooto présente au festival Vues d’Afrique de Montéral Procès Mbako, Anioto homme léopard – mythe et réalité, film réalisé à l’appui de sa thèse soutenue le 20 juin 2023 en Art et Sciences de l’Art à l’Université libre de Bruxelles. Démarche originale s’il en est, qui donne un film passionnant profitant à la fois du travail de recherches historiques effectué que de l’art de Kibushi, un des maîtres congolais du cinéma d’animation.Le film est visible sur TV5Monde Plus.

Outre le rappel de la férocité de la colonisation belge et de sa répression, c’est la résistance des autochtones qui fait l’intérêt du film. Les Anioto -hommes léopard[1], une milice secrète, exécutaient déjà les peines qui asseyaient le pouvoir des chefs traditionnels. Ils ont étendu leurs actions aux complices de l’occupation coloniale. Ils agissaient de nuit et utilisaient des griffes pour qu’on croie à l’attaque d’un léopard. L’un de leurs chefs, Mbako, était également membre du Mambela, l’association ésotérique des Hommes Léopards. Après une série d’attaques sanglantes contre des auxiliaires coloniaux, il est arrêté et pendu en 1933 avec ses complices à Wamba, au nord-est du Congo.

A l’aide de dessins, d’animations et d’archives audiovisuelles, dans une réjouissante hybridité qui enrichit singulièrement le film, Kibushi inscrit par sa voix-off le procès dans une opposition entre la vision coloniale (un terroriste) et la congolaise (un résistant). Si son titre annonce une confrontation du mythe et du réel, c’est qu’il éclaire combien les visions de l’époque continuent aujourd’hui d’opposer les imaginaires alors même que ce qui persiste puise dans la dévalorisation qui a légitimé la déstabilisation coloniale.

Une fois compris que les crimes étaient commis par des hommes et non par des léopards, ce qui leur pris un moment et ne leur donnaient pas de preuves, les autorités judiciaires belges intentent un procès contre Mbako, un homme que tout accuse à la suite du procès du chef coutumier Douga Koubetero qui envoyait les hommesléopards en mission. Les hommes léopard sont, d’après les journaux de l’époque, des sauvages, un danger pour la civilisation, une forme de cannibalisme. Ils suscitent l’effroi, mais ne laissent pourtant pas de traces dans les archives nationales du Congo que Kibushi a consulté : l’amnésie est totale. Il lui fallut donc partir des archives coloniales mais l’accès aux procès-verbaux du procès lui fut d’abord refusé en Belgique. En plus des enquêtes sur un terrain qu’il connaît bien pour en être issu, il lui fallut donc du temps pour boucler sa recherche. Avec quatre années pour le dessin et le suivi de la 3D au Sénégal, confiée à un ancien élève stagiaire, ainsi que le tournage au Congo avec neuf comédiens, six années de travail ont été nécessaires pour la réalisation du film.

Le léopard est au Congo symbole du pouvoir. La toque de léopard de Mobutu témoignait d’une descendance ancestrale. L’initiation Mambela, à la fois politique et religieuse, enseignait le courage, la bravoure et l’endurance. Les tatouages et scarifications achevaient de l’inscrire dans la force spirituelle de la nature dont le léopard était l’incarnation. Il s’agissait donc d’utiliser son énergie mentale pour défendre le territoire des ancêtres.

Les colons voyaient les choses autrement. Pris en exemple, un film colonial inscrit cela dans la sorcellerie et la superstition. Kibushi se rend à l’Africa Museum de Tervuren : l’un des clous des collections y était la statue du fameux « homme-léopard », l’anioto du Congo belge, réalisée pour le musée par Paul Wissaert. Fallait-il la conserver ? Le peintre Chéri Samba évoque dans un de ses tableaux la « réorganisation » du musée. C’est dans cette tension que s’inscrit Kibushi. Ses papillons se baladent dans le temps pour évoquer la christianisation forcée autant que la persistance de l’aniotisme.

Le procès de Mbako nous ramène à la colonialité du rapport à l’Afrique, un continent dont on fait volontiers le procès à la moindre occasion. Certes, les coutumes au début du 19ème siècle étaient cruelles mais s’inscrivaient dans des jeux de pouvoir et de vengeance qui n’étaient pas spécifiques des sociétés congolaises et n’avaient rien à envier aux exactions coloniales. Sollicités, des experts, chefs coutumiers et descendants des témoins remettent les pendules à l’heure, notamment sur la désignation des chefs selon leurs capacités. Les animations saccadées (en 8 images secondes au lieu de 24) autant que des reconstitutions sans moyens que certains qualifieront de naïves restaurent une distance dans la représentation qui ouvre à l’écoute et la réflexion. Le tout résonne en écho pour que l’approche rhizomique d’un procès historique vibre de la complexité des interrogations et remises en cause actuelles.

[1] Anioto ou Aniota dans le dialecte Kiballi des peuples Mubali, Bali ou Babali dans le territoire de Bafwasende, au nord-est du Congo.

Procès Mbako – Trailer – Jean-Michel Kibushi Ndjate Wooto – St FR EN from AJC ! on Vimeo.

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