Quatrième de couverture :
À l’aube d’une vie nouvelle, Samuel ne trouve pas le sommeil. Sa femme et leur nouveau-né rentreront de la maternité demain matin, après cette nuit que le jeune père traversera seul pour la dernière fois. Partagé entre exaltation et angoisse, il songe à sa grand-tante Rosa, survivante d’Auschwitz, partie après-guerre au Texas monter un cabaret au milieu du désert. Tous les soirs, elle raconte les disparus sur les planches, pour ne jamais oublier. Peut-on bâtir une famille lorsque l’ombre de l’Histoire s’immisce dans chacun de ses bonheurs ? Comment Samuel léguera-t-il ce passé à son enfant, alors que Rosa fait ses adieux à la scène ? Quand le dernier témoin se sera éteint, resteront les histoires. Roman intimiste, Le Cabaret des mémoires entrelace les fils de la transmission lors d’une bouleversante nuit initiatique.
Encore la découverte d’un auteur inconnu grâce à ce prix des lecteurs du Livre de poche. Et une manière inattendue de parler – ou pas – de la Shoah, par le biais de ce personnage fantasmé, devenu mythique de la tante Rosa, rescapée d’Auschwitz, qui a choisi l’exil aux USA où, chaque soir, à Shetl City, en plein désert texan, elle se produit sur la scène d’un cabaret et raconte sa vie d’avant la déportation, délaissant volontairement celle-ci et se « contentant » de réciter la liste de tous ses proches disparus dans les camps. En France, son petit-neveu Samuel, tout jeune père de famille, s’interroge sur la transmission de cette histoire familiale. Depuis son enfance, il cherche par le jeu et l’imagination à faire vivre cette grand-tante inconnue qui a coupé les ponts avec sa famille.
Ce choix de narration par le biais du conte, de l’imaginaire est original. Certes, on peut se demander pourquoi Samuel tient tant à transmettre à un nouveau-né le poids de l’histoire de la famille et de l’Histoire. Est-ce pour conjurer ses propres angoisses ? Est-ce parce que son propre père a échappé aux rafles grâce à des voisins qui l’ont caché, survivant ainsi sans avoir souffert ce qu’a subi sa soeur Rosa ?
Les thèmes de la transmission, du désert (réel et symbolique), de la famille sont traités subtilement dans l’écriture de Joachim Schnerf mais je ne suis pas sûre que ce court roman me restera longtemps en mémoire.
« Quand demain reviendra la lumière, que nous entrerons dans l’appartement pour la première fois tous les trois, je lui raconterais. Il y aura les berceuses, les histoires récitées d’une voix grave, et puis la Shoah. Il faudra que je trouve les mots qu’on ne m’a pas dits, car c’est le silence qui a semé en moi toutes ces névroses ‑ pas les atrocités de l’histoire. »
« Elle raconte la préciosité de la capitale, la rudesse des garçons de café, elle manie l’ironie et le cynisme avec la même énergie qu’elle met à tirer les larmes des spectateurs lorsque, avant que le rideau retombe, elle énumère tout ce dont elle n’aura pas la force de parler mais qu’il ne faudra jamais oublier : la rafle, les wagons, la sélection, sa mère à l’entrée des douches. Et l’odeur. Incapable de détailler, abandonnant sa gouaille incroyable, elle se contente d’une longue énumération morbide. Chaque soir dans une tenue différente, Rosa aux identités infinies liste sans raconter, elle nomme, martèle, pour qu’on ne puisse jamais nier. »
Joachim SCHNERF, Le cabaret des mémoires, Le Livre de poche, 2024 (Grasset, 2022)
Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Juillet 2024