Irène Némirovsky vers 1917,
" Au milieu de la nuit, ils se relevèrent et, accoudés à la fenêtre, contemplèrent le bal qui recommençait. Des lampions étaient allumés dans les arbres. Par moments, une lanterne de papier s'enflammait. Une petite flamme jaillissait, rongeait en un instant le papier tricolore et s'éteignait. On ne voyait sur la terrasse, débarrassée de ses tables, toute entière livrée aux danseurs, et, plus bas, sur les rives de la Seine, que la foule qui piétinait en mesure. Les musiciens soufflaient dans leurs cuivres. Les tambours battaient. les voix reprenaient en chœur :
Madelon, verse-nous à boire !
Et surtout, n'y mets pas d'eau ! C'est pour fêter la victoire, Joffre, Foch et Clémenceau !Les fusées éclairaient la rivière. Puis, dans l'intervalle des danses, une fanfare de chasse, jouée très loin, Dieu sait pourquoi, leur parvint, portée par le vent. Mais, tout à coup, un souffle froid passa. Brusque et lourde, la pluie se mit à tomber. On dansa encore quelque temps, puis l'orchestre et les danseurs durent fuir. Le petit hôtel résonna tout entier de musique et de cris. Mais dehors, les lampions achevaient de se consumer et la pluie mouillait les banderoles et les drapeaux sur la terrasse. Le brouillard s'éleva. Déjà, des feuilles mortes à terre.. Les jeunes gens partirent.
Paris, pavoisé, était vide et sombre sous l'averse..."
Irène Némirovsky, extrait de "Deux", Éditions Albin Michel, 1936, 2011. Du même auteur, dans Le Lecturamak :