" Dira-ton un jour l'agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ? " p 61
Au cœur des Cévennes, une famille se trouve confrontée à la naissance d'un enfant différent, handicapé. Chacun apprend alors à s'adapter et à trouver sa place dans cette famille malmenée par le sort. L'ainé se sent investi d'une mission : " Un jour, un professeur lui demanda ce qu'il souhaitait faire comme métier, il répondit " aîné ". " , la cadette oscille entre révolte et compassion, et le plus jeune, qui nait après l'enfant handicapé ne connait la famille qu'à travers ce prisme. La manière dont chacun s'adapte à cette présence singulière révèle beaucoup sur les dynamiques familiales, les ressentis personnels et la résilience humaine.
A travers une écriture sensible et poétique, l'autrice explore avec délicatesse et profondeur le thème de la différence et met en lumière la capacité de tout un chacun à s'adapter à son environnement, quelques soient les stigmates laissées par le monde extérieur.
Le premier chapitre est profondément délicat, tellement touchant que j'aurais aimé que les autres chapitres soient aussi lyriques.
" L'aîné lui fredonnait des petites chansons. Car il comprit vite que l'ouïe, le seul sens qui fonctionnait, était un outil prodigieux. L'enfant ne pouvait ni voir ni saisir ni parler, mais il pouvait entendre. Par conséquent, l'aîné modula sa voix. Il lui chuchotait les nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat. Il froissait des branches de verveine séchée contre son oreille. C'était un bruit cisaillant qu'il contrebalançait par le clapotis d'une bassine d'eau. Parfois il nous déchaussait du mur de la cour pour nous lâcher de quelques centimètres afin que l'enfant perçoive l'impact sourd d'une pierre sur le sol. (...) Il n'avait jamais autant parlé à quelqu'un. le monde était devenu une bulle sonore, changeante, où il était possible de tout traduire par le bruit et la voix. Un visage, une émotion, un passé avaient leur correspondance audible. Ainsi l'aîné racontait ce pays où les arbres poussent sur la pierre, peuplé de sangliers et de rapaces, ce pays qui se cabre et reprend ses droits chaque fois qu'un muret, un potager, un traversier étaient construits, imposant sa pente naturelle, sa végétation, ses animaux, exigeant par-dessus tout une humilité de l'homme. " C'est ton pays, disait-il, il faut que tu l'écoutes. " "
La poésie du premier chapitre s'efface peu à peu avec la cadette révoltée, les tonalités changent.
Un très beau texte profondément touchant !
"De l'autre on ne retient que ses efforts. Le résultat peut être imparfait ou non, il reste secondaire. Seuls compteront les efforts. Tu vois, les parents de Sandro se sont séparés quand il était enfant. Son père était pauvre. Il vivait dans une seule pièce. Mais Sandro se souvient du paravent déniché on ne sait où, du lit fabriqué avec de la mousse et des cagette, des efforts du père pour fabriquer un petit coin uniquement pour son fils. Ces efforts-là valaient mieux qu'un père absent qui laisse du caviar dans le frigo."