Ce que je sais de monsieur Jacques de Leïla BAHSAIN

Par Lecturissime

Années 1990. Loula a dû quitter son quartier de bord de mer et vient d'emménager dans un autre quartier de Marrakech où les catégories sociales restent bien délimitées : les enfants des familles aisées ne se mélangent pas aux " indigents ". Elle noue une amitié forte avec Zahira, une enfant aveugle qui devient rapidement son "amiétincelle". Elle rencontre Trabolta, et découvre les premiers émois de l'adolescence. Mais en observant ce qui l'entoure, elle remarque le ballet incessant de jeunes garçons qui se rend chez Monsieur Jacques, un français qui habite dans son immeuble au septième étage. Si Loula pose des questions aux adultes, ils la renvoient dans ses cordes, comme si le silence seul était acceptable. Pour eux, ce qui ne se voit pas n'a pas eu lieu, comme le jour où ils nient le viol de la petite Fatima sous prétexte qu'elle est encore vierge. Pour les enfants, témoins ou victimes, ce silence accentue la violence des actes. Loula découvre ainsi le "non protectorat de l'enfance", la fragilité inhérente aux oppressés soumis au pouvoir des plus forts ou plus puissants qu'eux, ces enfants pauvres étant en première ligne des injustices subies.

"On nous dit : Obéis à toutes les grandes personnes, considère-les comme tes parents, tes oncles et tes tantes. Tous les Français sont gentils et meilleurs que toi. Le citoyen de demain est un humilié, un obséquieux vulgaire.

Le pays riche domine le pays pauvre. L'Homme riche domine l'Homme pauvre. L'homme domine la femme. L'adulte domine l'enfant. L'enfant domine l'animal. L'animal domine l'animal.

Ainsi la vie n'est qu'une succession d'injustes dominations."

Les obstacles jalonnent la vie de ces classes populaires, pour que tout se perpétue et que chacun reste à sa place. Monsieur Jacques incarne de fait le symbole des dominants, en tant qu'homme, occidental, il est au sommet de la hiérarchie des dominations.

La seule façon de survivre pour Loula sera donc de dire, de faire confiance malgré tout au pouvoir des mots, qui, peut-être, seront plus forts que la violence...

"On parle de crime et on dit auteur, on parle de livres et on dit auteur. Le même mobile originel pourrait tout aussi bien conduire à écrire un livre ou à commettre un crime. Frontière ténue. Chaque écriture est mue par la même tentative, un mobile qui mènerait à l'irréparable. Écrire est une façon d'éliminer. Un dernier recours, en désespoir de cause."