Ces dix biographies se terminent par la mort de leurs protagonistes. Avec le souci méticuleux de situer leurs histoires personnelles dans l'histoire de leur temps, l'auteur se penche sur leur passé sans ménagement.
Une des particularités de ces nouvelles qui ont lieu à la fin du XIX e siècle et au XX e siècle est que leurs protagonistes, du moins certains d'entre eux, se croisent d'une biographie à l'autre, semble-t-il fortuitement.
Une autre particularité est que l'existence et la mort d'aucun d'entre eux ne sont banales. Le narrateur a donc raison de dire, sans forfanterie, que le lecteur y trouvera de quoi éveiller à la fois sa curiosité et son intérêt.
Le journaliste du premier récit dévoile un scandale en 1947 auquel se trouve mêlé un ministre, mais son rédacteur en chef s'en approprie la découverte. Quelques années plus tard, parti en reportage, il périt en mer...
Les dessous de ce scandale sont racontés d'ailleurs dans la dernière biographie du recueil, mettant en scène un couple fusionnel de jumeaux, garçon et fille, qui ne sont de loin pas des anges et défrayent la chronique.
Cette même année 1947, des agents de police font chou blanc quand ils se présentent au domicile d'une infirmière, qui, dans un asile genevois, empoisonne en musique les pensionnaires pour abréger leurs vies folles.
En 1948, une ancienne pianiste, qui, il y a longtemps, a arrêté sa carrière dans d'étranges circonstances, croise les jumeaux évoqués ci-dessus et va jusqu'à les héberger plus tard dans la maison où elle va finir sa vie.
Dans l'asile genevois où a sévi l'infirmière assassine, un orphelin passe trente ans de sa vie, s'en échappe, se retrouve sur le bateau qui fait naufrage avec le journaliste, en réchappe, retourne en Europe, y tire sa révérence.
Les autres récits relatent les vies d'une riche héritière d'une industrie pharmaceutique, d'une pensionnaire de maison de retraite affabulatrice, d'une gérante de kiosque à journaux, de son fils espion, d'une artiste de cirque.
Comme dans les autres récits, il y a des connections entre elles. Elles sont racontées par un narrateur qui adopte le ton d'un historien comme s'il s'agissait d'histoires vraies, assorties toutefois de remarques assez ironiques.
Le lecteur, séduit, approuvera ce que Maxime Rutschmann dit de ces récits par la voix de son narrateur qui a le mérite de la franchise, et la conscience de sa valeur, laquelle, on le sait, n'attend pas le nombre des années:
Que ces personnages aient été inventés - qu'ils aient germé tout cru dans ma tête - ou qu'ils aient réellement une place dans l'histoire du monde a-t-il, au fond, tant d'importance? Car ce sont des choix orientés et subjectifs, à la fin, qui décident de la place des humains dans notre mémoire collective. Pourquoi ne pas les choisir eux.
Francis Richard
Déranger les morts, Maxime Rutschmann, 190 pages, Plaisir de Lire