Sous la plume des auteurs, à propos de Georges Pompidou, revient souvent le mot de pragmatique pour le qualifier, mais ce mot serait trop réducteur pour comprendre les ressorts de son action:
S'il n'était jamais enfermé dans un système de pensée, il n'en demeurait pas moins arrimé à des attitudes, valeurs et principes solides: pudeur, simplicité, curiosité intellectuelle, logique, souci de l'argumentation factuelle, amour des bonnes choses, sens de la famille, foi en la liberté et la responsabilité, conscience des enjeux humains de toute action publique.Comme les auteurs abordent de nombreux sujets dans leur livre, il n'est question ici que de certains d'entre eux qui, aux yeux d'un libéral, apparaissent comme les plus significatifs. Il pourra en tirer des leçons qui ne sont pas forcément toujours celles qu'en tirent David Lisnard et Christophe Tardieu...
Pour Georges Pompidou, le président de la République est le chef suprême de l'exécutif et le garant de la Constitution, donnant les impulsions fondamentales. Il est l'arbitre et le premier responsable national, mais, en réalité, sans doute parce qu'il a été Premier ministre, il ne s'occupera pas seulement de choses essentielles...
Il pensait sincèrement que l'État n'était pas une menace pour la liberté du citoyen mais qu'il en constituait au contraire la plus solide et la meilleure garantie et souhaitait que le Conseil d'État devienne progressivement le protecteur des libertés individuelles. On voit aujourd'hui ce qu'il est advenu de ce souhait.
Il critiquait déjà la bureaucratie et la technocratie, qui n'ont fait que croître et embellir au cours des dernières décennies. Ne faut-il pas y voir la tendance naturelle des hommes de l'État d'accroître tout pouvoir qui leur est donné plutôt que le conformisme technocratique ou le renoncement à la responsabilité de nombreux gouvernants?
À propos de l'Europe, il pensait qu'elle devait respecter les États et que l'Europe devait être conçue dans un esprit confédéral où les gouvernements coopèrent et où des politiques communautaires peuvent se développer: pour lui la Commission ne devait avoir qu'un rôle subalterne de coordination et d'exécution...
Il conservait le système économique hybride français, qui n'est ni libéral, ni socialiste. Sa doctrine se résumait en trois axiomes: une croyance forte dans les mérites de l'économie libérale, un intérêt marqué pour la planification indicative et une critique parfois vive du ministère des Finances .
Ainsi Georges Pompidou n'était-il pas favorable à l'équilibre budgétaire s'il était obtenu en augmentant les ressources sans réduire les dépenses, c'est-à-dire en administrant la pénurie, avec pour résultat de freiner la croissance (sans laquelle il n'y a pas de prospérité possible) et de conforter la primauté de l'État sur l'entreprise privée:
"Il est souhaitable qu'en période normale et en régime de croisière, l'État réduise son rôle au minimum, qui est déjà considérable. Dans ces périodes normales, l'État doit se garder de chercher à intervenir pour le plaisir d'intervenir. Il doit au contraire essayer de restreindre ses interventions. Il doit laisser le plus de place à l'initiative privée."S'il n'y avait pas eu de croissance, grâce notamment à cette politique industrielle, il n'y aurait pas eu de progrès social et de hausse générale du niveau de vie: Un pays ne peut pas distribuer davantage à la population que ce qu'il produit, ou, s'il le fait, cela ne peut durer longtemps et il est rattrapé par les réalités économiques...
La liberté est menacée par des risques technologiques, ce que prédisait Georges Pompidou dans le Noeud gordien dès 1968. À sa suite, les auteurs peuvent écrire que technologie centralisatrice des données sur les habitants et technocratie dominant l'exercice du pouvoir politique portent les germes de la tyrannie.
Comment sauver la liberté?
Il faut pour cela "limiter les pouvoirs de l'État, [...] ne lui laisser que ce qui est de sa responsabilité et qui est de nos jours déjà immense, laisser aux citoyens la gestion de leurs propres affaires, de leur vie personnelle, l'organisation de leur bonheur tel qu'ils le conçoivent, afin d'échapper à ce funeste penchant qui, sous prétexte de solidarité, conduit tout droit au troupeau"...À Jacques Chirac, qui était trop empressé de produire des circulaires et autres textes découlant du conformisme énarchique, il avait dit:
"Cessez d'emmerder les Français."Pour remédier à la dévitalisation civique , au délitement régalien , au maquis technocratique qui accablent la France, les auteurs concluent:
Pour la concorde nationale, la paix, la sécurité et la liberté, il y a un besoin urgent de bon sens politique contre l'impuissance publique. Tel est l'enseignement de Georges Pompidou.N'est-ce pas un voeu pieux?
Francis Richard
Les leçons de Pompidou, David Lisnard et Christophe Tardieu, 288 pages, Éditions de l'Observatoire
Livre précédent des deux auteurs chez le même éditeur:
La culture nous sauvera (2021)