Mikhail Pirogov
Le Festival d'opéra munichois a repris pour deux soirées la nouvelle mise en scène de la Dame de pique avec la distribution de février dernier, à l'exception du rôle de Lisa, interprété alors par Asmik Grigorian et aujourd'hui par Lise Davidsen. Quelques heures avant la seconde représentation Brandon Jovanovich qui devait chanter Herman, le rôle masculin principal, fit savoir qu'il était indisposé et n'était pas en mesure de tenir sa partie. On s'imagine le branle-bas de combat qui dut s'ensuivre au sein de l'équipe de la Bayerische Staatsoper. Mozart, Wagner et Strauss soient loués (ce sont les trois dieux lares de la Maison), les zélés organisateurs trouvèrent un remplaçant. To be realistic you have to believe in miracles ! La Bayerische Staatsoper avait gardé un atout dans sa manche en la personne du ténor Mikhail Pirogov.
À quelque chose malheur est bon. La mine du public munichois fut un moment dépitée quand en lieu et place des premières mesures et d'un lever de rideau il vit s'avancer le porte-parole qui lui annonça que les cartes de la soirée avaient été rebattues et qu'un nouveau joueur de pharaon rentrerait en scène.
Mikhail Pirogov est né à Dalakhai, un petit village du district de Tunkin de la république de Bouriatie. Le chanteur a fait ses classes à Oulan-Oudé, la capitale de ce pays frontalier de la Mongolie, avant de suivre celles du Conservatoire Rimsky-Korsakov de Saint-Pétersbourg. Actif depuis 2010 sur les scènes russes, il a fait ses débuts allemands la saison dernière en Calaf à la Deutsche Oper am Rhein et cette saison-ci à la Deutsche Oper Berlin dans le triple rôle de Turiddu, Canio et Luigi. Il était hier matin à Vienne et a fait hier soir des débuts très acclamés au Théâtre national de Munich dans le rôle d'Herman, qu'il avait déjà chanté sur les scènes russes et qu'il reprendra la saison prochaine au Teatro Regio de Turin. Il chante actuellement Andreï dans Mazeppa au festival d'Erl dans le Tirol autrichien.
À aucun moment on n'eut l'impression que Mikhail Pirogov n'était entré au débotté dans la production. Son jeu de scène très intense fut en tous points remarquables, il a interprété avec un extraordinaire talent scénique la progression de la folie hallucinée de ce personnage possédé par le démon du jeu et l'appât du gain. Avec son ténor vigoureux, profond et expressif, situé entre le dramatique et le lyrique, il s'entend à rendre l'émotion et le pathos désespéré de la tragédie d'Herman, de cet homme sans fortune qui évolue dans un milieu auquel il n'appartient pas et perd tout espoir de bonheur et d'amour à cause de son obsession pour le jeu.
Lise Davidsen
Beaucoup, qui avaient été enchantés par la Lisa d'Asmik Grigorian, étaient venus voir ou revoir La dame de pique pour entendre la Lisa de Lise Davidsen et ils ne furent pas déçus. Les superlatifs s'accumulent pour célébrer la grande chanteuse norvégienne qui depuis sa consécration lors du prix Operalia 2015 accumule les triomphes sur les scènes mondiales. À cette occasion Placido Domingo avait qualifié sa voix de phénoménale. Elle chante Lisa depuis 2019, avec une prise de rôle très acclamée à Stuttgart suivie la même année de ses débuts newyorkais dans le même rôle au MET. Dotée d'une puissance vocale et de moyens extraordinaires, Lise Davidsen n'en abuse jamais. Aucune recherche d'effets faciles, mais une voix toute au service de l'authenticité dans l'expression des émotions, celles de la sincérité d'un amour qui lui fait abandonner les honneurs et la richesse que lui promettent ses fiançailles et qui l'amène à prendre tous les risques, celles de la détresse de plus en plus marquée et de la fidélité dans le déshonneur infligée par un amant si peu aimant et tellement démoniaque. Les montées vers l'aigu de Lise Davidsen sont un chemin parsemé d'étoiles, sa voix est d'une beauté confondante, la tristesse de ses graves rappelle que "La vie est un jeu de cartes dont le coeur n'est jamais l'atout."
Photos Luc-Henri Roger