Tombée sur ce recueil par hasard, dans ma librairie habituelle, j’étais intéressée de découvrir plus amplement la poésie de Cocteau. Car je n’en connaissais jusque-là que très peu d’exemples, à travers trois ou quatre poèmes de jeunesse, lus parfois dans des anthologies de poètes du 20e siècle. La lecture de ce Clair-obscur fut donc ma première incursion dans l’intégralité d’un recueil de Jean Cocteau.
J’ai aimé lire ce livre, de facture plutôt classique (quatrains rimés, alexandrins, hémistiches rigoureux). On ressent une lointaine influence de Mallarmé (il est d’ailleurs cité deux ou trois fois), avec des constructions de vers parfois alambiquées, une virtuosité dans la façon d’amener la rime, l’usage de temps en temps de mots ou de rimes rares. Mais, bien sûr, la poésie de Cocteau sonne plus moderne, plus claire et plus légère, que celle de son prédécesseur du 19e siècle. Egalement, l’humour est présent dans certains de ses poèmes. C’est toutefois la gravité qui domine. On voit que le poète, vieillissant, s’interroge sur le temps qui passe et ressent parfois des craintes, de la mélancolie ou certaines amertumes. Il se remémore le temps de sa jeunesse, ses anciens amis. Il se sent un peu dépassé dans cette France des années 1950, devant ses actualités, ses modes. Les thèmes du sommeil, du temps, de la mort et des artistes du passé semblent l’inspirer très fortement.
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J’ai acheté ce livre aux éditions Points poésie, il était initialement publié aux éditions du Rocher.
Il fait 184 pages.
Quatrième de Couverture
Publié en 1954, Clair-Obscur rassemble une centaine de poèmes. Ce livre chante la désillusion du poète devant le monde moderne et sa révolte devant l’altérité du temps. Fidèle à son génie, Cocteau conjugue humour et gravité. Il rend aussi hommage aux peintres et écrivains qui l’inspirèrent et à l’Espagne, pays qui lui était cher.
Note biographique sur le poète
Jean Cocteau, né en 1889 et mort en 1963, est un des principaux poètes français du 20e siècle, artiste aux multiples talents, romancier, dessinateur, peintre, auteur de théâtre et cinéaste. Il fut ami d’Apollinaire, d’Anna de Noailles, d’Erik Satie, de Radiguet, de Diaghilev, de Picasso et de nombreux artistes d’avant-garde des années 1910-20-30. Il fut l’ami de l’acteur Jean Marais, qui joua dans ses films. Il fut élu à l’Académie française en 1955.
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(Page 43)
Il est court le chemin
Il est court le chemin de la flamme à la neige
Du rouge au blanc du blanc au bleu.
Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterai-je ?
J’aimerais emporter le feu.
Drapeaux drapeaux vaincus par la débâcle interne
Vous m’encombrez de vos haillons.
Serait-ce pour vous pendre et pour vous mettre en berne
Drapeaux morts que nous travaillons.
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(Page 69)
Quelquefois temps cruel
Quelquefois temps cruel ta machine tu montres.
Notre poignet rongé par l’insecte des montres
Enlace loin de nous ses veines d’un bleu clair
Fleuves d’une patrie insensible à nos craintes
Et sous la peau menteuse où leurs courbes sont peintes
Mêlant une encre rouge au sel de l’eau de mer.
Le sang ne cherche pas à comprendre sa course
Son destin est de fuir pour rejoindre sa source
Il m’effraye et mon pouls avec ma montre bat.
Je n’ose regarder vivre ni l’un ni l’autre…
Alors en vous sommeil lâchement je me vautre
Votre balai j’enfourche et je vole au sabbat.
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(Page 79)
Aujourd’hui
Aujourd’hui c’est demain et hier qui s’épousent
Demain c’est hier jeune et hier demain vieux
Implacable travail de trois Parques, jalouses
D’un secret emmêlant les dates et les lieux.
Leur tâche à notre sort les laisse indifférentes
Car on n’en peut rien voir sur l’envers du tissu.
Elles travaillent vite et nous paraissent lentes
Et ce que nous cachons s’y brode à notre insu.
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