Laure Manel – Cinq cœurs en sursis

Par Yvantilleuil

Février 2001, La Rochelle. Après plusieurs jours de disparition, le corps de Béatrice Lancier est retrouvé lardé de coups de couteau par un promeneur dans les marais de Tasdon. Lorsque Catherine Dupuis se retrouve placée en garde à vue, les cinq membres de sa famille proche tombent des nues. Catherine suivait certes des cours de yoga avec Béatrice, mais il est inconcevable que cette mère de famille irréprochable ait pu commettre un crime aussi abjecte…

Les fans de polars apprécieront sans doute cette entame qui fleure bon le roman policier, mais ressortiront probablement déçus par la suite s’ils s’attendent à une enquête policière riche en rebondissements et en suspense. Le crime ne s’avère en effet qu’une excuse afin de s’intéresser au sort de cette famille dont le quotidien se retrouve totalement bouleversé suite à cette arrestation. Laure Manel ne s’intéresse d’ailleurs même pas au point de vue de Catherine alors qu’il aurait probablement été intéressant d’en apprendre un peu plus sur les raisons de son geste, ainsi que sur son ressenti. L’accusée demeure malheureusement muette tout au long du récit, pour ne retrouver la parole qu’en toute fin de roman.

Comme le titre laisse présager, ce roman choral donne donc la parole aux cinq membres de la famille de la présumée meurtrière, victimes collatérales du crime horrible qui a été commis alors qu’ils n’ont absolument rien fait. Au fil des pages, Laure Manel montre comment Marc (le mari), Nathalie (la sœur), Mamie Josette (la mère), Florian (le fils de 6 ans) et Anaïs (la fille en pleine crise d’adolescence) tentent de surmonter ce traumatisme familial. Que se passe-t-il au sein d’une famille lorsque l’un de ses membres commet l’irréparable ? Voilà la principale question qui intéresse l’autrice.

« Cinq cœurs en sursis » alterne donc les points de vue des cinq membres de famille qui vont tous réagir différemment. Du déni à la colère, en passant par le doute, l’injustice, l’incompréhension, la honte, la culpabilité, le harcèlement, le chagrin et l’amour, l’autrice restitue à merveille le ressenti de chacune de ces victimes collatérales. En prolongeant le récit sur une période de plus de vingt ans, ce roman s’attaque également à la reconstruction de ces cinq cœurs broyés et s’intéresse en particulier au sort d’Anaïs qui vole progressivement la vedette aux quatre autres via les écrits dans son journal intime… même si les quelques lettres envoyées par Florian à sa maman ne laisseront personne indifférent.

Malgré les qualités indéniables de ce roman récemment récompensé du Prix Babelio 2024, je le referme en étant visiblement moins enthousiaste que la plupart des lecteurs. Il y a premièrement le fan de polar que je suis, qui demeure un peu sur sa faim comme expliqué plus haut. Il y a ensuite le lecteur du sublissime « Je suis la maman du bourreau » de David Lelait-Helo et de l’excellent « Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson, qui ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec ces deux romans qui se glissaient également dans la peau des victimes collatérales d’un crime et de constater que ceux-là s’avèrent tout de même d’un tout autre acabit. Il y a pour finir l’impression que, malgré des chapitres très courts qui tentaient d’insuffler du rythme, ce roman était bien trop long, avec beaucoup trop de redondances.

Cinq cœurs en sursis, Laure Manel, Michel Lafon, 480 p., 20,95€

Elles/ils en parlent également : Aude, Valmyvoyou, Anaïs, Rowena, Laurence, Julie, Célittérature, Café noir et polars gourmans, Petite étoile livresque

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