Ayant bien aimé les deux livres de Nathalie Sarraute que j'ai lus jusqu'ici (" Tu ne t'aimes pas " et " Tropismes" ) j'étais très tentée de découvrir Enfance, l'un de ses ouvrages les plus connus, qui a la particularité d'être ouvertement autobiographique.
Comme Nathalie Sarraute était née en 1900 (elle a connu presque tout le 20ème siècle, étant morte en 1999), ce récit d'enfance nous ramène au tout début de cette période, avant la révolution soviétique de 1917 et, même, avant la guerre de 14.
Editeur : Folio
Première date de parution : 1983
Nombre de pages : 247
Quatrième de Couverture
Ce livre est écrit sous la forme d'un dialogue entre Nathalie Sarraute et son double qui, par ses mises en garde, ses scrupules, ses interrogations, son insistance, l'aide à faire surgir "quelques moments, quelques mouvements encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs [...] ouatées qui se défont et disparaissent avec l'enfance". Enfance passée entre Paris, Ivanovo, en Russie, la Suisse, Saint-Pétersbourg et de nouveau Paris. Un livre où l'on peut voir se dessiner déjà le futur grand écrivain qui donnera plus tard une œuvre dont la sonorité est unique à notre époque.
(Source : Folio)
J'avais lu avec beaucoup de plaisir deux livres de Nathalie Sarraute : " Tropismes " et " Tu ne t'aimes pas " et je me réjouissais de replonger dans son œuvre avec ce troisième livre. J'ai apprécié effectivement de nombreuses pages qui sont comme des petits tableaux, à la fois poétiques et minutieux. Je trouve que l'écrivaine parvient à restituer merveilleusement le climat et l'état d'esprit de l'enfance, où les impressions et les pensées restent assez imprécises et flottantes. À aucun moment elle ne fait de longue analyse psychologique à la façon de Balzac ou de Proust mais, par de petits détails suggestifs et des réflexions sur telle ou telle parole prononcée elle va très loin dans la compréhension des personnages et nous en donne un aperçu réellement vivant.
Là où je serai un peu moins positive - mais c'est quelque chose de très subjectif et qui correspond à mes attentes personnelles en littérature - c'est par rapport à une certaine monotonie dans l'écriture et, plus encore, dans les éléments du récit. On ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup de progression dans cette histoire (qui n'en est pas vraiment une) et on a le sentiment que les différents petits chapitres pourraient être lus dans le désordre sans que ça change grand chose à nos perceptions de lecture. D'ailleurs l'écrivaine se demande à plusieurs reprises si tel épisode a eu lieu avant ou après un autre et, effectivement, nous ne sentons pas de lien ou d'enchaînement ou de causalité de l'un à l'autre. Pour cette raison, ce livre m'a fait un effet stagnant, avec très peu d'évolution et donc la sensation d'une absence de chronologie. L'absence du Temps m'a paru très frappante. Dans le même ordre d'idée, on n'arrive pas vraiment à déterminer les différents âges de la petite Nathalie Sarraute, d'un épisode à l'autre ou, même, du début à la fin, on ne perçoit pas vraiment qu'elle a grandi...
Grâce aux grandes qualités d'écriture, j'ai pu arriver jusqu'au bout du livre, mais je reconnais que ce ne fut pas une lecture facile, à cause de cette lenteur narrative et de cette sensation stagnante.
Un avis en demi teinte, donc, et une préférence pour " Tropismes" .
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Un Extrait page 115Je parle le moins possible de maman... Chez mon père tout ce qui peut l'évoquer risque de faire monter et se montrer au-dehors... pas dans ses paroles, mais dans le froncement de ses sourcils, dans le plissement de ses lèvres qui s'avancent, dans les fentes étroites de ses paupières qui se rapprochent... quelque chose que je ne peux pas voir...
- De la rancune, de la réprobation... osons le dire... du mépris.
- Mais je n'appelle pas cela ainsi. Je ne donne à cela aucun nom, je sens confusément que c'est là, en lui, enfoui, comprimé... je ne veux surtout pas que cela se mette à bouger, que cela vienne affleurer...
Mon père lui-même, quand il le faut vraiment, désigne ma mère par le nom du lieu qu'elle habite : " As-tu écrit à Pétersbourg ? " " Tu as une lettre de Pétersbourg. " Les mots " ta mère " qu'il employait autrefois, maintenant, je ne sais pourquoi, ne peuvent plus lui passer les lèvres.
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